BD de la semaine
New York Cannibals
Six ans après le mémorable Little Tulip, le duo Jerome Charyn et François Boucq publie ce nouveau volet où le lecteur retrouve Pavel, toujours aux commandes d’un salon de tatouage dans le New York du début des années 1990. Sa protégée, Azami, est devenue policière et culturiste. Lors d’une intervention, elle découvre un bébé abandonné dans une poubelle. Incapable d’enfanter à cause des traitements qu’elle a infligés à son corps, elle décide d’adopter l’enfant. Pour le protéger, elle va remonter la piste d’un trafic de bébés, et découvrir qu’il semble lié à un mystérieux gang de femmes qui dévorent leurs ennemis. Étrangement, les fantômes du goulag dans lequel Pavel a grandi semblent être à l’origine de ces atrocités. Comme si l’univers, les codes et la violence du goulag avaient pris pour nouveau territoire les rues de New York. Le détonant tandem de créateurs nous plonge ainsi au cœur des entrailles de Big Apple, ville sulfureuse où les riches accentuent leur vampirisation sur une frange de la population réduite à survivre en terre hostile. Soit une fresque aux accents de tragédie contemporaine magnifiée par le dessin de François Boucq, à la fois onirique et réaliste, qui met sa virtuosité technique au service de ce récit des temps modernes. Sans conteste, l’un des albums de l’année.
Le Lombard.
Des bombes et des hommes
Cette «petite» histoire dans la «grande» Histoire suit les pas d’Isabelle, 25 ans, qui arrive à Sarajevo en 1995 pour rejoindre l’ONG Equinoxe qui distribue des vivres pour les populations civiles. La Yougoslavie se disloque depuis trois ans dans une guerre fratricide entre Serbes et Bosniaques. La ville vit au rythme des bombardements et des snipers, qui tirent sur les passants devenus des cibles sans défense. C’est dans cette atmosphère irrespirable qu’Isabelle prend ses marques et fait connaissance avec les autres membres de l’ONG. Jusqu’au jour où un convoi pour Gorazde est autorisé, ville assiégée depuis 3 ans où 30 000 Bosniaques sont livrés à eux-mêmes face au siège des Serbes. Sur place, alors que la distribution se fait rapidement, elle sympathise avec des habitants qui lui parlent de leur désir de revoir des films, leur cinéma ayant été en partie détruit par les bombardements. Lorsqu’elle leur rétorque que leur priorité devrait être la nourriture, ils vont alors lui rappeler que l’art peut être aussi nécessaire que manger lorsqu’on est trahi et abandonné depuis aussi longtemps… Ce jour-là, Isabelle décide alors de leur rapporter des films ! Un récit à la fois âpre et émouvant – inspiré par l’histoire vraie d’Estelle Dumas qui porte cette histoire depuis 25 ans -, sublimé par la délicatesse de l’aquarelle de Julie Ricossé. Une BD qui nous ramène aux heures les plus sombres de la seconde moitié du XXe siècle mais où brille aussi la flamme de l’espérance en une humanité bienveillante.
Futuropolis.
Bootblack
Ce second volet d’un superbe diptyque signé du scénariste et dessinateur Mikaël s’ouvre dans l’Allemagne en ruines de 1945 alors que les troupes américaines traquent les derniers soldats ennemis. Parmi ces soldats venus d’Outre-Atlantique, Al Chrysler qui, pour oublier l’horreur de la guerre, se réfugie dans ses souvenirs. Fils d’immigrés allemands, né aux États Unis, il n’a pas dix ans quand, en une nuit, sous le regard haineux de ces Américains anti-étrangers, il perd ses parents et son foyer dans un terrible incendie. Tournant le dos à ses origines, Al n’a pas d’autre choix que de vivre dans la rue ; il devient Bootblack, un «cireur de chaussures» sur les trottoirs de New York, avec son ami Shiny. Six ans plus tard, en 1935, ils font la rencontre de Buster, de l’ambitieux Diddle Joe et de Maggie, dont Al est amoureux. Pour elle, il est résolu à gagner plus d’argent, quels qu’en soient les moyens. Mais il n’imagine pas que la guerre qui menace lui donnera bientôt rendez-vous avec son passé… De l’Allemagne en guerre au redoutable Manhattan, l’auteur du remarqué Giant procède par flashbacks et signe une plongée fascinante dans un New York à la fois réaliste, voire expressionniste, et onirique. Un album à l’atmosphère intense qui augure parfaitement du prochain cycle qui se déroulera à Harlem.
Dargaud.