Commerce : comment les Français arbitrent leur budget contraint
Ultra-vigilants sur la note au supermarché, les Français se concèdent de petits plaisirs, d’après une étude BPCE qui décrypte leurs stratégies de consommation face à l’inflation. L’étude montre aussi combien la digitalisation s’est installée dans les achats.
En dépit de l’inflation, ne pas renoncer à tout. Début février, lors d’une conférence de presse à Paris, BPCE dévoilait la première édition de son « Baromètre digital & payements », consacré aux achats des Français en 2022. L’étude se fonde sur l’analyse des 4 milliards de transactions -anonymisées- que les clients de l’établissement ont réalisé via leurs 20 millions de cartes bancaires, dans 40 secteurs de consommation.
Premier constat de l’étude, « face à l’inflation, les Français réalisent des arbitrages dans leurs dépenses. Ils essaient d’optimiser leur budget tout en continuant à s’octroyer des petits plaisirs au quotidien », constate Myriam Dassa, directrice du baromètre chez BPCE. Parmi les dépenses, celles en carburant ont été impactées le plus fortement par les hausses de prix. En 2022, elles ont augmenté de 29 % par rapport à l’an dernier. « Le panier moyen a augmenté. Il est de 49 euros en 2022, alors qu’il était de 43 euros en 2019 », signale Myriam Dassa.
Autre dépenses liées à l’automobile qui ont augmenté en 2022 : les péages d’autoroute (+9%) et les équipements auto (+8%). Pour compenser, les Français ont diminué leurs dépenses dans d’autres secteurs. Première concernée, l’alimentation, qui représente le premier poste de dépenses par carte bancaire (13%). « En 2022, nous constatons une baisse des dépenses de 9 % dans les magasins d’alimentation. Le panier moyen a diminué de 4%, et les transactions de 5%, ce qui indique une moindre fréquence des passages en magasin », dévoile Myriam Dassa. La tendance est encore plus nette dans les enseignes bio, qui subissent une baisse de 10 % des achats par rapport à l’année précédente. Autre secteur qui subit des restrictions, celui des télécommunications et des fournisseurs d’accès d’Internet. Les dépenses y ont baissé de 3 %. Face à des offres standardisées, « les Français font jouer la concurrence », note Myriam Dassa.
Par ailleurs, pour optimiser leurs budgets, les consommateurs recherchent les meilleurs prix, notamment en se servant d’Internet. Concernant les dépenses de bricolage et de décoration, par exemple, celles importantes sont réalisées en ligne, tandis que celles en boutique se limitent aux achats d’appoint. En 2022, le panier moyen des premières pèse 174 euros, celui des secondes, 66 euros. Autre stratégie anti-crise encore, les achats d’occasion et de seconde main. Véritable phénomène de société, nourri par des motivations diverses, ce secteur avait déjà vu ses dépenses multipliées par 2,6 entre 2019 et 2021. L’an dernier, la croissance s’est poursuivie sur les deux familles de produits concernées. Pour la première, celle de la mode (vêtements, chaussures, puériculture, sport), les dépenses se sont accrues de 15 %. Quant à la deuxième famille, celle des produits électroniques reconditionnés, les dépenses y ont augmenté de 8 %.
Petits plaisirs et vague digitale
En réalisant ces arbitrages, les Français parviennent à préserver la possibilité de réaliser au moins certaines de leurs envies. En particulier, ils « avaient envie de se retrouver », signale Myriam Dassa. Ainsi, les dépenses en restauration ont augmenté de 19 % par rapport à 2019. Dans les bars, on s’adapte : la fréquentation est en forte hausse, avec 34% de plus de transactions par rapport à 2019, mais avec un panier moyen en baisse de 7%. Dans le même sens, les Français ont aussi accru leurs dépenses pour les sorties. Si le cinéma n’a pas encore retrouvé son niveau de 2019, les dépenses ont néanmoins progressé de 66 %, l’an dernier. Et aussi, « les Français ont retrouvé le chemin du voyage », note Myriam Dassa. En témoigne le top trois des secteurs qui ont enregistré la plus forte hausse de la consommation entre 2021 et 2022 : les agences de voyage (+ 154% ), les bus longue distance (+81%) et les compagnies aériennes (+72%). Dans la catégorie voyage, les trains et grandes lignes enregistrent une hausse de 36 %. Et d’autres secteurs ont vu les budgets augmenter, qui témoignent de l’envie des Français de ne pas céder au marasme, comme ceux de la cosmétique, de 15 % entre 2021 et 2022, ou les salons de beauté et coiffure de 11%.
Au delà de la manière dont les Français adaptent leur budget à la crise, l’étude éclaire aussi un phénomène structurel. « La digitalisation continue à pénétrer le quotidien. Entre 2019 et 2021, les comportements digitaux avaient accéléré sous la contrainte. En 2022, alors que celle-ci a disparu, ces comportements continuent de s’installer dans les pratiques, et même, pour certains, se renforcent », analyse Myriam Dassa. Plusieurs secteurs sont particulièrement concernés par cette tendance, certains originellement numériques, d’autres où des pratiques qui se déroulaient traditionnellement dans le monde physique subissent une mutation. Pour ces derniers, c’est en particulier le cas de la consommation à domicile de produits de restauration commandés via Internet. Depuis 2019, ces dépenses ont été multipliées par 3,5. En 2022, le niveau reste stable par rapport à l’année précédente, alors que les contraintes ont disparu : la pratique s’est installée dans le quotidien des Français.
Les dépenses ont également continué à croître (+9 % en 2022) pour les téléconsultations, dont l’usage avait connu un bond durant la pandémie. Quant aux usages nativement digitaux, leur croissance s’est aussi poursuivie en 2022. C’est le cas des sites de rencontres (+ 28 %), des services de streaming vidéo et musicaux (+ 20 % ) et des jeux vidéo(+16 % ). A ce sujet, note Myriam Dassa, « les moins de 35 ans dessinent et influencent ces nouvelles tendances. Ils en sont les pionniers ». Alors qu’ils constituent 28 % de l’échantillon total, cette catégorie de la population est surreprésentée parmi les utilisateurs de services en ligne. Ils représentent 62% des acheteurs de vidéo à la demande, 61% de la restauration en ligne, 50% du streaming musical, 44% du prêt à porter en ligne… Une claire indication sur l’avenir des paiements.