Conjoncture : une année pas comme les autres
Effondrement, rebond, attentisme. En trois mots, l’activité économique aura joué, en 2020, au yoyo. Les prévisions, qui dépendent davantage de la situation sanitaire que des capacités de production, demeurent incertaines. Mais l’Insee livre au moins un résultat : à ce stade, le chômage progresse moins que la récession.
En temps normal, les notes de conjoncture de l’Insee se noient dans la précision, extrapolant des décimales après la virgule, s’ébahissant d’une variation infime. Rien de tel cette année. Les chiffres de la croissance pour les quatre trimestres de 2020, dévoilés le 6 octobre, jouent des grosses caisses, maniant des hausses ou des baisses spectaculaires, -5,9% au premier semestre, celui de la montée de la peur, -13,8% du deuxième, celui du confinement, +16% au troisième, celui de l’été rédempteur. Seule la prévision pour le quatrième trimestre, une croissance de 0%, renoue avec les étiages timorés auxquels nous avait habitués l’Institut de statistique.
Le résultat de ces montagnes russes ne surprendra personne : une récession de neuf points en fin d’année, au diapason avec le moral des ménages et le climat des affaires. Mais, admet l’Insee dans sa note de conjoncture, « les prévisions deviennent incertaines », car « c’est l’évolution de l’épidémie qui devrait en grande partie conditionner celle de l’activité économique des tous prochains mois ». Le nombre de lits en réanimation devient un critère plus important que le cours du brut.
À défaut de proposer des prévisions fiables, les conjoncturistes peuvent analyser la manière dont s’est comportée l’économie dans les mois écoulés. Et pas seulement en France. Tous les États de la planète, et singulièrement les « pays avancés », les plus riches dans le langage de l’Insee, ont connu une activité en dents de scie. Premier pays touché par l’épidémie, et premier à en être sorti, la Chine devrait éviter de peu la récession en 2020. La croissance chinoise est toutefois davantage portée par l’investissement et la construction que par la demande des ménages, que le gouvernement de Pékin ne cherche pas à stimuler, au contraire de ses homologues européens.
Même si les États-Unis n’ont pas connu de confinement généralisé, l’économie a été sérieusement affectée, enregistrant une baisse de près de 10% au deuxième trimestre. La consommation, les exportations et l’investissement des entreprises ont été lourdement atteints, d’autant que l’épidémie a continué à sévir et à marquer la vie quotidienne des Américains pendant l’été, alors que l’Europe bénéficiait d’un sursis. Les rebondissements fantasques de la campagne présidentielle, qui se dénouera le 3 novembre, ne permettent pas de prévisions plus précises.
Les pays d’Europe ont connu des sorts variés, liés en partie seulement au développement de la Covid-19 sur leur territoire. La production manufacturière a davantage plongé au printemps dans les pays latins qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, mais en juillet, selon les derniers chiffres disponibles, c’est en Espagne que le rebond le plus puissant était enregistré. Les ventes au détail ont beaucoup moins souffert en Allemagne, où le confinement était moins strict, mais en juillet, c’est surtout en France qu’elles ont rattrapé leur niveau antérieur.
Dépenser l’épargne forcée
Pour l’économie nationale, l’Insee évoque prudemment « le risque d’une pause, voire d’une rechute » pour la fin de l’année. Toutefois, si l’activité économique est amputée de plusieurs de ses moteurs habituels, « l’emploi et le pouvoir d’achat baisseraient beaucoup moins », anticipent les conjoncturistes. Pour 2020, 840 000 emplois seraient perdus, ce qui porterait le taux de chômage à 9,7% en fin d’année. L’impact, pour l’heure limité, de la récession sur l’emploi s’explique par le phénomène de «rétention de main-d’œuvre », explique l’Insee. « Certaines entreprises conserveraient à ce stade une grande partie de leurs effectifs, malgré la contraction de leur activité », peut-on lire dans la note de conjoncture. Le chômage partiel a permis ces choix, ainsi que des politiques volontaires de maintien de l’emploi, par exemple dans le secteur des transports.
Mais si une partie de la population active perd son emploi, ou peine à en retrouver un, la crise amène aussi les ménages qui le peuvent à épargner davantage. Pendant le confinement, « le taux d’épargne avait quasiment doublé », en raison de l’incapacité à dépenser son argent. Les plaisirs de l’été ont en partie consumé cette épargne forcée. L’Insee a observé les recherches de mot-clef sur Internet entre octobre 2019 et septembre 2020. Les termes “train”, “vol”, “hôtel”, “restaurant”, “cinéma” et “théâtre” ont connu une forte désaffection à partir de la mi-mars, puis ont progressivement remonté la pente, davantage que les autres pour le restaurant, beaucoup moins pour l’avion. En fin d’année, le taux d’épargne devrait se situer à 17%, deux points au-dessus de son étiage habituel.
La crise a bouleversé les priorités. Le secteur aéronautique « a grandement contribué à la chute des exportations de biens manufacturés ». Mais, plus globalement, les services ont davantage souffert que l’industrie, en particulier « l’hébergement-restauration, les transports de voyageurs et les activités culturelles », où devraient, à terme, se concentrer les pertes d’emploi, estime l’Insee.
Les économistes observent aussi l’impact territorial de cette année chamboule-tout. Ainsi, les dépenses touristiques ont plongé en région parisienne et, dans une moindre mesure, dans les grandes villes, tandis que de nombreux départements ruraux, et pas seulement dans le midi, enregistraient une hausse par rapport à l’été 2019. Les métropoles, presque toutes classées dans les diverses catégories de rouge foncé imaginées par le gouvernement, subissent en outre, en cet automne, de nombreuses restrictions, qui finissent par peser non seulement sur leur économie, mais sur leur attractivité. Les conséquences de la crise sanitaire n’ont pas encore toutes été observées.