DÉCRYPTAGE : LA REMONTÉE DES PRIX DU PÉTROLE
Depuis 2016, les prix du pétrole n’ont cessé d’augmenter et le baril de Brent atteint désormais 65 dollars. Si cette remontée a permis aux pétroliers de renouer avec les bénéfices, une telle évolution est en revanche défavorable pour le reste de l’économie…
De juin 2014 à janvier 2015, le baril de Brent de la mer du Nord, qui sert de référence, notamment sur les marchés européens, a vu son cours passer de 114 à 50 dollars, puis, continuer à baisser jusqu’à descendre en dessous de 30 dollars, en janvier 2016. Comme toujours pour le pétrole, cette baisse relevait autant de considérations géopolitiques que des conditions de marché. En effet, le marasme déflationniste au sein de l’Union européenne et la stagnation de la production industrielle chinoise avaient ralenti la demande mondiale de pétrole et rendu l’offre excédentaire. Mais c’est surtout l’Arabie Saoudite qui a joué un rôle trouble en réduisant d’abord volontairement sa production, afin de maintenir un prix du baril élevé sur les marchés, avant que des dissensions au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ne l’amènent à ouvrir grand ses vannes. Quitte à laisser le cours s’effondrer, permettant accessoirement de rendre non profitable la production de pétrole de schiste aux États-Unis, dont le coût de production était alors estimé à environ 70 dollars le baril.
APPRÉCIATION DU BARIL DEPUIS 2016
Mais depuis 2016, on assiste à une remontée continuelle du baril de Brent, qui atteint 65 dollars mi-février 2018. En dehors des incertitudes géopolitiques, en Iran, par exemple, cette évolution s’explique d’abord par un rééquilibrage progressif entre l’offre et la demande au niveau mondial. Plus précisément, par une résorption des surcapacités de production face à des consommateurs de plus en plus dépendants, que les incitations à passer aux énergies renouvelables et à une économie sans pétrole semblent laisser de marbre. En plus de l’effondrement de la production au Venezuela, l’OPEP et la Russie ont signé un accord de limitation pour faire remonter les cours et tenter de soigner des finances publiques mises à mal par un pétrole bon marché. Riyad a ainsi été contraint de mettre fin à ses généreuses subventions sur le prix des carburants et de l’eau, tout en instaurant parallèlement une TVA (qui devrait être étendue à tous les pays membres du Conseil de coopération du Golfe, cette année) et une taxe sur les expatriés. En tout état de cause, il faut garder à l’esprit qu’une hausse du prix du pétrole équivaut à un transfert de revenus des pays importateurs de pétrole vers les pays exportateurs de pétrole.
LE PÉTROLE DE SCHISTE EN CROISSANCE
Certes l’industrie du pétrole de schiste aux États-Unis a été durement touchée par les prix bas, mais, contrairement aux attentes de l’OPEP, celle-ci a su s’adapter pour traverser les turbulences. D’autant que les banques n’ont pas complètement arrêté leurs avances financières au secteur. L’industrie du pétrole de schiste en sort aujourd’hui vainqueur, capable de rentabiliser des puits avec un baril en dessous de 50 dollars dans le Dakota du Nord. Ce qui explique qu’après être redescendue à 4,2 millions de barils par jour, la production de pétrole de schiste aux États-Unis est aujourd’hui à nouveau en croissance soutenue. Et devrait, à ce rythme, avoisiner les 5 millions de barils par jour, fin 2018 (soit la moitié de la production de pétrole des États-Unis), au grand dam des défenseurs de l’environnement.
LES PÉTROLIERS À LA FÊTE, LES AUTRES À LA DÉFAITE
Depuis la hausse du prix du baril, entamée en 2016, les géants du secteur pétrolier sont à la fête. ExxonMobil a ainsi vu son bénéfice augmenter de 151% entre 2016 et 2017 pour atteindre 19,7 milliards de dollars, Shell a vu le sien progresser de 119% (13 milliards de dollars), Chevron de 139% (9,2 milliards de dollars) et Total de 39% (8,6 milliards de dollars). Pour les autres secteurs de l’économie, cependant, une hausse du baril conduit bien évidemment à une augmentation des coûts de production défavorable à la croissance. Au surplus, au sein de la zone euro, on remarque une corrélation positive entre le prix du pétrole et le taux de change de l’euro : lorsque le premier augmente, il semblerait que les pays exportateurs de pétrole se décident à utiliser leurs réserves de change pour acheter des actifs en euros, d’où une appréciation de l’euro défavorable pour nombre d’entreprises exportatrices dont la compétitivité dépend encore largement du coût. Quant aux ménages, c’est avant tout leur facture énergétique et de transport qui augmente et grève leur budget. Assez curieusement, les marchés ne semblent pas anticiper de hausse prononcée des prix du pétrole en 2018, mais s’attendent, paradoxalement, à un retour de l’inflation et une hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, comme dans la zone euro, alors même que les coûts salariaux unitaires stagnent…