Transport et logistique
Entretien avec Christophe Coulon, vice-président des Hauts-de-France
Avec ses 103 100 emplois dans la région, le secteur de la logistique représente un poids important dans l’économie régionale. Entretien avec Christophe Coulon, vice-président de la région Hauts-de-France, en charge des mobilités, des infrastructures de transport et des ports.
Picardie Gazette : Une étude de l’Insee publiée en 2023 classe la région Hauts-de-France au 1er rang national pour l’activité de la logistique, comment l’explique-t-on ?
Christophe Coulon : Il y a une multitude de raisons mais notre position géographique en est une importante. Chaque territoire de France aime à dire que sa position géographique le place au centre de quelque chose. Pour les Hauts-de-France, c’est une certitude qu’elle est au coeur des noeuds d’échanges économiques européens. Qu’ils soient fluviaux et encore plus à venir avec le canal Seine-Escaut, et routiers puisque nous sommes sur le trajet des échanges entre le nord de l’Europe et le sud. Et sur le plan du littoral, la logistique et les flux ont une grande importance au niveau des ports. Nous sommes aussi au carrefour de toutes les grandes infrastructures de transport. Et puis l’autre raison, c’est aussi notre proximité avec la région Île-de-France. Cela implique que sur l’entreposage et sur la transformation de certains produits, nous soyons fortement sollicités par les acteurs de la logistique.
Quels sont les plus grands pôles logistiques de la région ?
Le port de Dunkerque reste le plus grand pôle surtout si on mélange tout en terme de tonnes de marchandises débarquées, embarquées, les containers, le vrac... Ensuite, on a la plate-forme multimodale Delta 3 à Dourges et les ports de Lille. L’Oise concentre de son côté une forte densité de locaux d’entreposage. Qu’apporte la logistique à la région ? Cela amène des pure player de la logistique comme Amazon bien sûr, cela crée des emplois mais n’oublions pas qu’il faut voir la logistique comme l’expression du dynamisme économique. On ne veut pas calculer la «logistique sèche» à savoir Amazon qui ne fait qu’apporter des produits non transformés et qui fait essentiellement de la manutention. Il en faut aussi bien sûr mais nous voulons nous dire que s’il y a de la logistique, c’est qu’il y a de la production et de l’emploi industriel. Nous ne voulons pas être seulement sur un modèle de distribution.
Le développement de la logistique se fait-il aussi justement en lien avec celui de l’industrie ?
Oui, il n’y a pas de logistique sans activité manufacturière. La région Hauts-de- France même si elle a connu des années plus fastes mais des années plus noires aussi, est sur le podium des régions les plus attractives économiquement. Elle fait partie de celles qui sur le plan des investissements économiques et industriels étrangers, est depuis maintenant 7 à 8 ans, toujours sur le podium des régions les plus accueillantes. Nous avons une région qui est donc business friendly, à la croisée des échanges économiques et à proximité de la région parisienne, très importante sur la chaîne de valeur économique et logistique.
Est-ce que la politique économique régionale ou celle des acteurs locaux a permis de favoriser davantage l’activité logistique ?
Le transport de flux ne fonctionne que si on a des consommateurs à servir ou des clients (entreprises) qui veulent diffuser leurs produits. Nous avons clairement vu ces dernières années, une très forte poussée de la logistique notamment dans le sud de la région, sur le versant picard à proximité de Paris. Il y a aussi eu la réindustrialisation qui a démarré avec hier l’arrivée de Toyota près de Valenciennes, demain les usines de méga-batteries du côté de Dunkerque, cela renforce la logistique. Le dynamisme économique de la région entraîne un accroissement naturel de ces flux.
Les flux augmentent alors les infrastructures vont-elles être amenées à se développer pour mieux les absorber ?
On sent à quel point nos axes, routiers notamment, commencent à atteindre les limites de leurs capacités. L’autoroute A1 qui est la matrice centrale des flux de logistique ne peut plus continuer à absorber davantage de flux routiers, il faut donc réinventer la façon de les organiser. C’est l’enjeu du Canal Seine-Nord Europe, Seine-Escaut qui relie Paris au grand corridor fluvial du nord de l’Europe. Tout au long de ce canal, nous aurons 4 plateformes multimodales qui seront des zones d’activités créées pour accueillir de nouvelles activités économiques qui vont prospérer via la voie d’eau. Cela va créer du report multimodal puisqu’on pourra charger les marchandises sur les bateaux. Ces 4 ports intérieurs trouvent leur place dans un écosystème déjà assez robuste sur le plan fluvial puisqu’au sud des Hautsde- France, nous avons à Compiègne le port de Longueil Sainte-Marie qui est un port économique très actif. Et au nord de la région, sur le bassin minier, nous avons la plate-forme Delta 3 à Dourges qui est la plus grande de France et qui est un outil régional. Nous avons d’autres ports multimodaux qui fonctionnent bien comme celui de Valenciennes dit port Toyota et les ports de Lille. L’idée est de penser au report modal. Je n’oublie pas le train puisque la région est propriétaire d’une douzaine de lignes de chemin de fer de fret.
La logistique est-elle en train de se décarboner ?
Tous les acteurs de la logistique travaillent à la décarbonation, est-ce que le rythme est le bon, je ne sais pas. On se rend compte que le poids-lourd électrique à batterie est en train de prendre son envol quand on pouvait penser qu’on irait vers l’hydrogène. Il faut aussi voir si ce modèle économique d’un camion électrique qui vaut peut-être 30 à 40% plus cher que le diesel, sera soutenable pour le secteur logistique. Et est-ce que notre réseau de recharge de bornes sera construit assez vite, c’est une autre question. Tout le monde a la vision mais est-on dans la bonne échelle de temps, je ne le sais pas. Ce qui est certain, c’est que la logistique doit se décarboner au maximum. Nous sommes aujourd’hui à 90% de flux logistiques qui sont des flux routiers et il faut arriver à faire baisser ce pourcentage chaque année. Le transport routier par camion mais aussi avec les voitures des particuliers, cela représente 35% des émissions de gaz à effet de serre chaque année. Quand nous faisons le Canal Seine-Nord Europe, ça n’est rien d’autre qu’un projet de décarbonation.
La loi ZAN (Zéro artificialisation nette) ne va-t-elle pas freiner le développement de la logistique ?
Oui, nous avons aujourd’hui un coup de frein qui est donné sur la
croissance très forte des m2 d’entreposage et de locaux logistiques
créés ex-nihilo. La loi ZAN ne donne plus une possibilité infinie aux
collectivités d’artificialiser, ce qui est une bonne chose, il faut
garder de la terre pour cultiver et permettre à la biodiversité de
prospérer. Cela veut dire que la logistique doit aborder la question de
la reconversion de friches, de modèles de construction plus verticaux et
moins horizontaux et chercher à être sur des emplacements plus vertueux
comme sur du bord à canal. Nous avons eu l’illustration de ce mouvement
dans le Valenciennois d’un acteur de la logistique qui a réhabilité 100
000 m² bord à canal sur une friche industrielle. C’est cela le sens de
l’Histoire. Il faut réhabiliter, transformer que ce soit pour faire du
logement, des bureaux et aussi de la logistique et de l’industrie.