Voirie
France Relance : opération recensement des ponts à risque
250 000, c’est le nombre approximatif de ponts routiers qui existent en France. 10% d’entre eux seraient en mauvais état, et l’État veut les recenser et les examiner avant, peut-être, de procéder à leur réfection. Ce programme repose sur le savoir-faire et la bonne volonté des collectivités, y compris des petites communes.
On les franchit sans vraiment s’en rendre compte, à peine distrait par une vue fugace donnant sur un cours d’eau et par le bruit sourd que provoque le frottement des roues sur le revêtement. Les ponts, quand on circule en voiture, semblent faire partie du paysage, comme s’ils se trouvaient là depuis longtemps, et pour toujours. Et pourtant, la construction d’un pont est toujours un défi, une aventure humaine, et le lien qui en découle bouleverse les relations entre les deux rives. Plusieurs romans racontent cette épopée, notamment Le pont sur la Drina d’Ivo Andric (Prosveta, 1945), qui retrace la longue vie d’un ouvrage en Bosnie, ou Naissance d’un pont, de Maylis de Kerangal (éditions Verticales, 2010), qui relate la construction d’un ouvrage autoroutier en Californie.
Il arrive aussi que les ponts soient coupés, et même qu’ils disparaissent. Chacun se souvient de l’effondrement spectaculaire du viaduc autoroutier Morandi, à Gênes, un jour d’orage, en août 2018. Quarante-trois personnes avaient péri dans la catastrophe, qui n’avait duré que quelques secondes. Fin 2019, un pont routier connaissait le même sort à Mirepoix-sur-Tarn (Haute-Garonne), suite au passage d’un convoi en surcharge. En octobre dernier, les crues de la Vésubie, de la Tinée ou de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, ont détruit de nombreux ponts, isolant des villages et compliquant le ravitaillement.
Pour limiter le risque de nouveaux drames, l’État a annoncé, le 15 décembre dernier, dans le cadre du plan de relance, un programme de 40 millions d’euros destiné à la réfection des ponts situés dans des petites communes. Le gouvernement souhaite élaborer un « carnet de santé » des ponts existants et, à terme, une base de données nationale. Le financement s’adresse à 28 000 communes, selon des critères de population et de potentiel fiscal. Dans ces localités, les services et le budget ne garantissent pas un entretien régulier de la voirie communale.
Dans un premier temps, au printemps 2021, le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), chargé de superviser le programme, a lancé un recensement des ouvrages. À l’automne, une liste des plus sensibles d’entre eux sera établie. L’établissement public mobilisera par ailleurs les bureaux d’études susceptibles de répondre aux besoins des communes.
Cet inventaire doit répondre à de surprenantes lacunes. Un rapport publié par le Sénat en juin 2019, suite à la catastrophe de Gênes, affirmait que 25 000 ponts, en France, étaient « en mauvais état structurel », posant des « problèmes de sécurité pour les usagers ». Le rapport évaluait la part d’ouvrages en danger à 18 à 20% parmi les ponts gérés par les communes, contre 8,5% pour ceux dépendant des départements et 7% pour les ouvrages de l’État. Plus étonnant encore, le rapport indiquait que « le nombre exact de ponts n’est pas connu » et avançait un chiffre approximatif de 200 000 ouvrages en France.
Ponts de pierre, passerelles, simples buses…
Il est vrai que le terme « pont » englobe une grande variété de constructions. Les ouvrages modernes comportent un tablier, structure porteuse sur laquelle roulent les véhicules. D’autres reposent sur une voute en maçonnerie, une technique utilisée depuis l’Antiquité. Souvent appelés « ponts de pierre », dotés d’arches, parfois recouverts de lierre, ils font partie du patrimoine historique que les villes aiment mettre en avant.
La nomenclature du Cerema concerne aussi les ponts-cadres, des structures en béton de faible dimension constituées d’un seul bloc, les passerelles destinées au passage exclusif de piétons ou cyclistes, ou les simples buses, ouvrage tubulaires qui permettent l’écoulement de l’eau sous une route, par exemple. Enfin, l’établissement public veut également répertorier les murs de soutènement, sur lesquels s’appuient les routes situées à flanc de coteau. Ce ne sont pas des ponts à proprement parler, mais leur structure est similaire. En revanche, les ouvrages situés sur le domaine privé sont exclus du travail de recensement.
Dès septembre 2018, le Cerema avait publié un guide technique à l’usage des communes. L’établissement public préconisait en particulier, comme l’a récapitulé l’hebdomadaire La Gazette des communes, de « retirer la végétation, vérifier les systèmes d’écoulement d’eau, descendre une fois par an sous l’ouvrage pour l’observer d’en dessous, retirer les embâcles », cette accumulation de déchets organiques ou autres que l’eau dépose régulièrement.
Parallèlement, le Gouvernement a lancé un appel à projets auprès d’entreprises susceptibles de contribuer à la surveillance des ponts. En avril, un jury désigné par le ministère des Transports a retenu 17 projets qui, pour beaucoup, reposent sur des capteurs autonomes, une surveillance numérique et des images automatisées circulant « en temps réel ». Comme si l’observation humaine était superflue.
Quoi qu’il en soit, ces engagements pourraient ne pas suffire. Les sénateurs réclamaient en 2019 « un plan Marshall » de 1,3 milliard d’euros, et l’État en a, à ce stade, octroyé 40 millions, soit sept fois moins que la totalité des fonds nécessaires au rétablissement du réseau routier dans le seul département des Alpes-Maritimes, après le déluge de la fin 2020.