Giampaolo Marcoz, président des notaires d’Europe : « Pour mener des projets européens, il est nécessaire de passer par…
À l’occasion du 118e Congrès des notaires de France, qui se tiendra du 12 au 14 octobre à Marseille, nous avons interviewé Giampaolo Marcoz, président du Conseil des notariats de l'Union européenne (CNUE), qui regroupe 22 États, revient sur les thématiques qui seront évoquées.
Durant ces trois jours d’échanges, des propositions d’évolutions juridiques seront formulées, concernant notamment les secteurs du droit de la famille, de l’immobilier et de l’entreprise. Avec un objectif : utiliser l’ingénierie notariale pour prévenir les contentieux.
La Gazette : Quel est votre regard sur les questions qui seront abordées lors du Congrès des Notaires de France ?
Giampaolo Marcoz : J’apprécie les thématiques qui seront présentées lors de ce congrès et qui sont communes à tous les États de l’Union européenne. Elles sont, en effet, au centre des travaux du CNUE, qui vise à proposer des projets collectifs à la Commission européenne.
Le droit de la famille et le droit des sociétés seront largement abordés cette année...
Le droit de la famille et des sociétés est également au cœur de l’actualité législative européenne. Nous attendons dans les prochains mois des initiatives sur la reconnaissance de la parentalité, la protection des adultes vulnérables, ainsi que des avancées en matière de numérisation du droit des sociétés. Sur ces sujets, nous sommes en dialogue constant avec les institutions européennes.
Par ailleurs, nous constatons également une tendance de fond dans les États membres de l’Union européenne. Depuis plusieurs années, les notariats connaissent un développement de leurs compétences juridiques hors contentieux. De plus en plus, pour des raisons d’efficacité, d’économie et de diminution des charges de travail, des compétences des tribunaux et des administrations publiques sont transférées aux notaires : divorce par consentement mutuel, recouvrement des dettes financières, délivrance du certificat national de succession et du certificat successoral européen.
Le droit de la famille et de la succession "à la carte" sera mis en avant. Concerne-t-il d’autres pays européens ?
Le thème de la famille est toujours suivi par les groupes de travail du CNUE. En particulier, le thème de la transmission "à la carte", dont l’objectif est de rendre plus actuels certains mécanismes de succession. C’est une préoccupation commune à toute l’Europe. En Italie, par exemple, le système ne répond pas toujours aux exigences des nouvelles formes de familles et aux besoins des entreprises au moment d’une transmission d’une génération à l’autre. Dans une Union européenne toujours plus ouverte et internationale, le CNUE met au centre de sa réflexion l’harmonisation des régimes patrimoniaux.
Justement est-il facile de travailler à ce type d'harmonisation, dans une Europe aux juridictions diverses ?
Au cours de ces dix dernières années, l’Union européenne s’est attelée à construire des ponts entre les systèmes nationaux de droit civil et commercial. Par exemple, pour garantir que les jugements d’une juridiction nationale soient automatiquement reconnus dans un autre État membre ; permettre de déterminer la juridiction compétente dans les cas de divorce, de succession et de mariage revêtant une dimension transfrontière ; ou encore faciliter la création de sociétés en ligne.
Vous travaillez à une plate-forme numérique du notariat européen...
Nous organisons le 22 novembre une journée de Hackathon durant laquelle les pays vont chercher à présenter des projets sur les thèmes de l’identité́ numérique et de l'interconnexion. Le souhait est d’arriver à avoir un projet de plateforme du CNUE dans laquelle enregistrer des informations communes. Je pense que si nous voulons mener des projets véritablement européens, il est nécessaire de passer par l’interconnexion et par une plateforme commune à tous les pays.
Il s’agirait du premier pas pour réaliser beaucoup de projets au service des institutions et des citoyens d’Europe. Le projet est délicat dans sa réalisation technique. De plus, l’interconnexion impose un partage de données et tous les pays ne sont pas favorables à adopter cette solution.
Le CNUE s’est engagé dans la crise ukrainienne. C'est un exemple d'interconnexion et d'harmonisation, non ?
La crise de l’Ukraine nous a démontré́ que le notariat européen peut réaliser des projets communs exceptionnels dans un temps très court. Le CNUE a travaillé́ avec la Commission européenne d’une façon très efficace, démontrant que le notariat est au service des institutions lorsqu'il s’agit de défendre l’État de droit et les droits des personnes plus faibles. Nous sommes également en lien étroit avec la Commission européenne concernant la mise en place des sanctions visant à isoler économiquement la Russie et la Biélorussie. Nous sommes d’ailleurs partie prenante de la task force “Freeze and Seize“ mise en place et coordonnée par le commissaire européen Didier Reynders.
Quelles leçons tirer de cette crise, par exemple concernant l’harmonisation des outils des notaires ?
Évidemment, le volet juridique et la pratique notariale occupent une place prépondérante et nous avons œuvré de concert avec tous les notariats européens, par exemple pour la mise en place d’un réseau de notaires pour l’Ukraine, mobilisable pour répondre à des demandes spécifiques. Nous avons aussi procédé à l’ajout de fiches sur le droit ukrainien sur nos sites d’information grand public "Couples en Europe" et "Personnes vulnérables en Europe".
Des listes de questions fréquentes ont été élaborées pour aider les notaires dans le traitement de leurs dossiers impliquant des ressortissants ukrainiens : ce travail va être regroupé dans un livret pratique. Enfin, avec le soutien de la Commission européenne, nous avons développé un formulaire multilingue en ligne pour faciliter le voyage à l’étranger des enfants quittant l’Ukraine.
Comment voyez-vous l'avenir du notariat en Europe ?
Je pense que l’avenir du notariat d’Europe dépend de la volonté́ des membres d'accepter les importants défis que le futur nous propose, en particulier celui de la numérisation de la société et celui, politique, d’une toujours plus forte unification des pays d’Europe. Nous devons croire dans une Europe unie et nous devons accepter de jouer un rôle important dans ce processus avec les institutions et les citoyens. Nous pouvons le faire, c’est à nous d’y croire.