L’avenir du e-commerce passe-t-il par la seconde main ?

Pour l’essentiel, la vente et l’achat de produits de seconde main se déroulent sur Internet. Start-up et entreprises traditionnelles se disputent un marché qui promet d’être fructueux. Témoignages, lors d’une table-ronde organisé par la Fevad.

Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. (c)DR
Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. (c)DR

Le marché de la seconde main, nouvel horizon pour le e-commerce ? Nombre de professionnels sont dans les starting-blocks… Fin septembre, sur le salon Paris Retail Week, la Fevad, Fédération du e-commerce, qui fédère 800 entreprises, organisait une table-ronde sur cette nouvelle pratique prometteuse. Elle réunissait les représentants de trois entreprises pionnières en la matière, Vestiaire collective, Petit Bateau et Fnac Darty.

Pour Marc Lolivier, délégué général de la Fevad, la seconde main, qui a émergé en ligne depuis plusieurs mois, « représente une tendance majeure pour le e-commerce qui se développe par vagues d'innovation successives ». Une étude KPMG, présentée lors de l'événement, révèle l'ampleur prise par le phénomène. En forte accélération, le marché de la seconde main dans son ensemble représente déjà 86 milliards d'euros en Europe et 7 en France. Et « 59% de la seconde main passe par le e-commerce », dévoile Géraldine Chevallier, responsable de comptes chez KPMG. Côté consommateurs, 80% d’entre eux ont déjà acheté ou vendu des produits d'occasion. Leurs motivations ? « Ambivalentes », poursuit la responsable : « 72% des sondés se disent concernés par une consommation plus responsable. Mais pour 78% d'entre eux, la première motivation réside dans le prix. Et 39% se disent prêts à payer plus cher pour un produit plus responsable ». Chez les e-commerçants, un coup d 'œil au top 20 des plus fréquentés d'entre eux illustre combien la seconde main a le vent en poupe.

Dans ce palmarès, « tous ceux qui proposent des produits ont déjà une offre de seconde main », remarque François-Xavier Leroux, responsable des activités digital et consommateur chez KPMG. Certains, à l'image de Le Bon coin, basent précisément leur modèle économique sur cette pratique. D’autres ont au moins une expérimentation en cours... A des degrés divers, plusieurs secteurs sont déjà concernés : l'automobile, la mode, en particulier pour les enfants, les produits technologiques, mais aussi le mobilier, la décoration. Pour Francois-Xavier Leroux, « le marché de la seconde main dépasse le phénomène de mode.(…), il y a un vrai business à la clé ».

Bataille en vue

De fait, la bataille a déjà commencé entre pure-playeurs, originellement positionnés sur ce marché, et marques qui entendent reprendre la main. Comme Hugo Boss, dans la mode, par exemple. Mais dans ce secteur, la plateforme internationale Vestiaire Collective, qui propose achat et vente de produits de mode de luxe de seconde main, est là depuis une dizaine d'années... L’entreprise est aujourd'hui valorisée à 1,45 milliard d'euros. « Nous avons créé ce marché(…). Au départ, les marques ne se sont pas intéressées à nous. Puis, lorsque la croissance a démarré, cela a généré un peu de défiance, mais aujourd'hui, les problématiques RSE ont pris le dessus et nous avons des discussions constructives », témoigne Bernard Osta, responsable de la stratégie chez Vestiaire Collective. D'ailleurs, Kering, groupe de luxe qui possède des marques comme Gucci, Saint Laurent ou Balenciaga, a pris des parts dans la société... Chez ce géant numérique, « le motif économique est le principal driver des clients », estime Bernard Osta. Un sac à main qui coûte 1 000 euros neuf est accessible pour 400 euros sur le site. Et l'acheteur qui prend soin de l'objet sait qu'il a de grandes chances de le revendre au prix qu'il l'a acheté lorsqu'il en sera las. Toutefois, les questions environnementales sont « de plus en plus présentes dans l'esprit des consommateurs », estime Bernard Osta. Ce pure playeur s'est imposé comme tiers de confiance entre acheteurs et vendeurs, en misant sur une forte authentification des produits.

Mais les deux autres pionniers qui témoignaient ce jour là sont issus de l'économie traditionnelle, et ils s'attachent à tirer parti de leurs atouts déjà existants. FNAC Darty avait commencé à mener des initiatives en matière de seconde main depuis une dizaine d'années, mais de manière marginale. « Nous avons fortement accéléré. Depuis deux ans, nous avons une business unit spécifique qui traite plus d'1,5 millions de commandes », explique Olivier Theulle, directeur du e-commerce et du digital dans le groupe. Celui-ci mise sur la durabilité des produits et il s’appuie sur son écosystème de réparation des produits. « Notre différenciation passe par notre capacité de réparation », argumente Olivier Theulle. Chez ses clients qui recourent à la seconde main, « la préoccupation du pouvoir d'achat existe, mais elle n'est pas exclusive, ni ultra dominante », poursuit-il. Par ailleurs, il constate un « équilibre » entre des nouveaux clients et d'autres historiques, dont une partie des achats se tourne vers la seconde main.

« Nous avons une forte croissance devant nous »

Troisième exemple, enfin, l'entreprise plus que centenaire Petit Bateau, qui se revendique comme une marque historique de la seconde main : ses vêtements se transmettent de génération en génération... Sur cette base, depuis cinq ans, la marque a commencé à déployer une stratégie ambitieuse. En 2017, Petit Bateau a démarré avec une application. Trois ans plus tard, ses boutiques se sont mises à reprendre les produits des clients, et quelques-unes à les vendre dans des corners. 2022 est dédié au déploiement de ces derniers. Et pour l'an prochain, l'entreprise prévoit d’accélérer sur le digital et sur l'international. De plus, la marque s'apprête à se lancer sur un marché voisin, celui de la location de bodys pour les enfants. D'après Guillaume Darrousez, PDG de l'entreprise, « cette démarche nous permet d'élargir notre cible. Nous attirons une population plus jeune, un peu plus urbaine et pour laquelle le critère écologique est important, même si le prix aussi constitue un enjeu ».

Pour chacune des sociétés, l'aventure ne fait que commencer. « Nous avons une forte croissance devant nous », estime Bernard Osta. Quant à Guillaume Darrousez, il pense qu'en 2030, la seconde main représentera 30% des volumes de ventes. Nouveau marché, la seconde main contribue-t-elle à la lutte contre la surconsommation ? « 70% des achats remplacent un achat de première main. (…) Et l'impact environnemental de la seconde main est très favorable », avance Bernard Osta. Par ailleurs, dans un marché de la mode en baisse, « les marques qui proposent des produits de qualité, qui durent, vont remplacer celles de la fast fashion », analyse Guillaume Darrousez .


Emmaüs alerte

Sur LinkedIn, Maud Sarda, cofondatrice du label Emmaüs, met en garde « préférer la vente systématique de seconde main au don, c’est mettre en danger la solidarité au profit des géants du numérique » ! Elle pointe par exemple des phénomènes comme Vinted, et la « boulimie d’achats » et alerte sur la « surconsommation ».