La confiance gagne les villes moyennes
Dans les préfectures et sous-préfectures aidées par le programme « Action cœur de ville », les échanges de biens immobiliers, comme les prix, ont fortement progressé depuis 2018. Ces localités marquées par la dévitalisation présentent toutefois des destinées contrastées.
À Villefranche-de-Rouergue, sous-préfecture de l’Aveyron de 12 000 habitants, « le jeudi après-midi est le moment le plus déprimant de la semaine », confie une commerçante. Les producteurs et maraîchers, qui avaient installé leurs étals, dès l’aube, dans une grande partie du cœur de ville pour le marché hebdomadaire, sont repartis, et les chalands aussi. Dans les ruelles de cette bastide datant du 13ème siècle, où les vitrines vides se succèdent les unes aux autres, une certaine mélancolie règne alors.
Mais depuis quelques années, une nouvelle catégorie d’habitants s’installe dans la bastide, ainsi que dans les quartiers anciens qui la jouxtent. Des « Parisiens », comme on dit ici, ou à tout le moins des habitants venus d’ailleurs, ont découvert le patrimoine médiéval, le marché du jeudi et la douceur du Rouergue, et ne comptent pas en repartir.
Parmi les villes moyennes et petites touchées par la dévitalisation commerciale et urbaine, le petit sursaut de Villefranche-de-Rouergue ne fait pas exception. Entre 2020 et 2021, le volume des ventes immobilières dans les villes concernées par le programme « Action cœur de ville » (ACV) a encore progressé de 12%. Entre 2018 et 2021, la hausse atteint 17%. Les prix suivent. Dans les villes-centre, la valeur moyenne d’un appartement, au mètre carré, est passée de 1 353 euros en 2018 à 1 557 euros en 2021. A Villefranche-de-Rouergue, comme à Montargis (Loiret) ou Cognac (Charente), « l’immobilier s’est écoulé comme des petits pains depuis le premier confinement », confirment des habitants.
Ces chiffres sont issus du "baromètre annuel de l’immobilier", publié chaque année par l’Agence nationale de cohésion des territoires en partenariat avec le Conseil supérieur du notariat (CSN), et présenté fin juin. Le programme ACV, lancé fin 2017, finance des équipements et des services dans 234 villes, pour la plupart des préfectures et sous-préfectures, pour un montant total de 5 milliards d’euros. La deuxième phase du programme, qui doit s’étendre jusqu’en 2026, devrait cibler « les entrées de ville » et les quartiers des gares.
Un placement sûr
Sur la carte de France, la progression du volume des ventes depuis 2018 est visible presque partout, à l’exception notable des localités alsaciennes et de quelques villes du littoral breton, comme Vannes ou Saint-Malo. De fortes hausses sont constatées dans le Bassin parisien offrant des liaisons régulières avec Paris (Chartres, Sens, Compiègne), mais aussi dans d’ancienne cités minières du Nord-Pas-de-Calais (Béthune, Lens, Liévin, Denain) de Lorraine (Forbach, Saint-Avold) ou de Bourgogne (Le Creusot).
La hiérarchie des prix est plus conforme à l’idée que l’on se fait de l’attractivité résidentielle. L’Ile-de-France, Colmar, les villes rhônalpines ou celles des littoraux touristiques affichent des appartements à plus de 2 200 euros le mètre carré, tandis que des valeurs les moins élevées, inférieures à 1 100 euros, dominent dans la large bande qui court des Pyrénées aux Ardennes, et que les géographes appellent « diagonale du vide ». Les prix des maisons répondent à la même hiérarchie territoriale.
Une fois ces constats établis, le notariat et les responsables du programme ACV ne livrent pas la même interprétation. « On nous avait promis l’exode urbain, des cohortes d’habitants des métropoles arrivant dans les villes moyennes, et tout cela n’est évidemment pas arrivé », soutient David Ambrosiano, président du CSN. Les chiffres du « baromètre » montrent pourtant « un marché dynamique qui confirme l’attractivité des villes moyennes », observe pour sa part le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, directeur du programme ACV. Ces agglomérations, qui comptent entre 10 000 et 100 000 habitants, auraient d’ailleurs tous les atouts pour attirer les habitants des métropoles. « Elles présentent à la fois une qualité de vie et des prix accessibles qui ne sont pas soumis à la spéculation, contrairement au centre des grandes villes », plaide-t-il. Pour autant, « quand un foyer achète, il peut être certain de ne pas perdre d’argent ». Autrement dit, la ville moyenne serait un placement de « bon père de famille », comme disent encore les agents immobiliers.
Le directeur d’ACV, ardent défenseur de l’urbanité, livre sa vision de la ville moyenne du futur. « L’objectif du programme est de remettre des habitants, des services, des infrastructures sportives et culturelles et des commerces en ville », rappelle-t-il. Pour le dire autrement, les habitants désireux de quitter les métropoles sont invités à s’installer plutôt dans les villes moyennes que dans leurs périphéries.
Est-il entendu ? Pas partout. Selon Peggy Montesinos, membre du CSN en charge de l’expertise immobilière, « les villes-centre portent le marché dans 42% des agglomérations concernées par le programme ACV, tandis que dans 44% d’entre elles, c’est la périphérie qui tire cette évolution ». La spécialiste prend l’exemple de Lorient (Morbihan) : « Les villes limitrophes gagnent en habitants, notamment celles qui sont en bord de mer », constate-t-elle. En revanche, à Epinal, « le réaménagement de places devenues plus vivantes ou des services de navettes incitent les retraités à s’installer en ville », indique-t-elle.
De ces données contradictoires, le représentant des notaires, David Ambrosiano, retient surtout que « la production de logements neufs est insuffisante ». Mais Rollon Mouchel-Blaisot répond aussitôt qu’il vaudrait mieux « reconstruire la ville sur la ville » que de céder à « l’étalement urbain » qui amène les habitants à vivre loin du centre-ville et à multiplier les allées et venues en voiture. A Villefranche-de-Rouergue, seules 800 personnes vivent encore dans le strict périmètre de la bastide médiévale.