Bilan Insee
La croissance est là, mais sans la consommation
L’Insee anticipe une croissance modérée pour 2024. Mais celle-ci procède surtout des dépenses publiques et du commerce extérieur, et non des consommateurs, toujours échaudés par une inflation pourtant en recul. Le gouvernement attendu peut-il continuer à dépenser compte tenu du poids des déficits publics ?
Drôle d’été pour l’économie française. Alors que l’absence de majorité à l’Assemblée nationale et la difficulté à former un nouvel exécutif provoquaient une incertitude peu propice aux investissements, les clameurs venues des gradins olympiques laissaient croire à un rebond de la consommation générateur de croissance. Tous comptes faits, c’est l’incertitude qui semble l’emporter, précise l’Insee, le 9 septembre, dans un « point de conjoncture », qui actualise sa « note de conjoncture », publiée en juillet au surlendemain du deuxième tour des élections législatives. L’économie a certes continué de croître « à un rythme modéré » de 0,2% au printemps. Mais les consommateurs n’y étaient pour rien, puisque cette croissance était « exclusivement portée par les dépenses publiques et le commerce extérieur », explique Dorian Roucher, chef du département de la conjoncture à l’Insee. Les conjoncturistes avancent un « acquis de croissance » de 0,9% fin juin et anticipent une hausse de l’activité pour l’année de 1,1%. C’est davantage que le gouvernement Attal, qui tablait en février sur 1%.
L’impact des Jeux olympiques et paralympiques devrait rester mesuré. Pour l’été, l’Insee le chiffre à 0,3% de croissance, qui serait suivi d’un contrecoup de -0,1% à l’automne. « Une grande partie de cette croissance correspond à l’événement lui-même, la valeur des billets et des retransmissions télévisées, comme pour un spectacle géant », indique Dorian Roucher. Les transports, l’hôtellerie et la restauration devraient modérément profiter de l’événement.
La persistance rétinienne d’une inflation élevée
Les entreprises demeurent secouées par les perspectives politiques. Le « climat des affaires », qui mesure le moral des chefs d’entreprises, « a brusquement reculé début juillet », juste avant le second tour des élections législatives, alors qu’une victoire du Rassemblement national se profilait. L’indicateur a certes rebondi au mois d’août, une fois la menace écartée, mais pas autant dans les services que dans l’industrie et la construction. Les secteurs des biens d’équipement et de l’information-communication n’ont pas retrouvé leurs couleurs. « Alors qu’ils constituaient un soutien constant de la croissance française depuis la crise sanitaire, les investissements des entreprises françaises en logiciels semblent se gripper », souligne le point de conjoncture. L’investissement des entreprises, tous secteurs confondus, était en recul de 0,5% au printemps, tandis que celui des ménages perdait 0,1%.
Ceux-ci demeurent marqués par l’inflation. Il s’agit pourtant d’une persistance rétinienne. Car « la désinflation se poursuit à un rythme plus rapide que prévu », souligne Clément Bortoli, chef de la division synthèse conjoncturelle. « Pour la première fois depuis trois ans, l’inflation s’établit à moins de 2%, en août », précise-t-il. Cependant, complète Dorian Roucher, « les ménages ont encore en mémoire l’inflation des produits du quotidien ». Ce décalage entre la réalité et la perception, classique en matière de prix, n’est pas circonscrit à la France, puisque les ménages le ressentent également en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Dans le détail, l’inflation des prix alimentaires, qui avait bondi fin 2021, avant même l’invasion russe de l’Ukraine, s’était pratiquement éteinte dès le printemps 2024, observe l’Insee. Alors que le carburant et les produits manufacturés n’augmentaient pas davantage, ce sont les prix des services qui ont pris le relai et qui constituent aujourd’hui l’essentiel de la hausse. Le retour de l’inflation dans son lit habituel devrait redonner un peu de pouvoir d’achat aux ménages, indique le point de conjoncture, qui prévoit une légère hausse de la consommation d’ici la fin de l’année. Pour l’heure, c’est surtout l’épargne qui profite des incertitudes. Elle atteint un niveau de 17,9% du revenu disponible brut au deuxième trimestre, nettement au-dessus des 14,6% de 2019.
Le taux de chômage, que l’Insee évaluait, en juin, à 7,6% d’ici la fin de l’année, n’a pas été réactualisé par rapport à la note de conjoncture de juillet. Le niveau est supérieur d’un dixième de point à celui de la fin 2023. La création de 185 000 emplois cette année ne parvient pas à compenser « la hausse de la population active liée à la réforme des retraites », observe l’Institut de statistique.
Ce point, présenté trois jours après la nomination de Michel Barnier à Matignon, sonne comme un avertissement. La croissance, tirée par les dépenses publiques, coûte cher à l’État. Les consommateurs pourraient prendre le relai, en dépensant leur épargne, notamment, mais à condition de ressentir un climat de confiance propice à l’investissement. Ce qui est loin d’être acquis...