Consommation
La distribution en vrac, nouvelle frontière du commerce ?
La crise de la Covid-19 a amené une pause dans l'essor du commerce en vrac en France. Mais la consommation reprend. Des marques grand public, comme Mustela et Babybel, sentent le vent tourner et expérimentent ces nouveaux modes de distribution.
La goutte d'eau deviendra-t-elle fleuve ? Le chiffre d'affaires des produits vendus en vrac, -sans emballage- dans l'ensemble des circuits de distribution, devrait atteindre 1,3 milliard d'euros en 2020, en France. Telle est l'estimation de Réseau Vrac, qui réunit quelque 1 700 professionnels. Depuis 2016, l'association travaille à promouvoir cette pratique, notamment en réalisant du lobbying pour pousser à l'instauration d'un cadre légal qui commence à prendre forme (loi sur l'économie circulaire).
En décembre dernier, Réseau Vrac organisait une visioconférence sur l'actualité du secteur, marquée par l'intérêt renforcé de grandes entreprises et la crise de la Covid-19. Cette dernière a mis sur pause la forte progression du mouvement (+ 41%, entre 2018 et 2019). En cause, notamment, la désorganisation des rayons vrac, entièrement ou pour partie fermés, durant les confinements. Mais « nous avons presque retrouvé les niveaux de l'an passé , en fin d'année », se réjouit Célia Rennesson, co-fondatrice de Réseau Vrac.
Pour 2022, l'association s'attend un doublement du chiffre d'affaires (3,2 milliards d'euros). La projection se base sur l'élargissement des types de magasins qui proposent du vrac et de la variété de produits proposés. Mais aussi, sur l'arrivée de grands acteurs. « En 2020, nous avons senti une volonté de se lancer dans le vrac de la part des grands groupes. Les marques testent massivement (…). Cela s'inscrit aussi dans un mouvement de transformation globale, dans leurs objectifs de long terme de responsabilité sociétale d'entreprise », explique Célia Rennesson. Les entreprises sont également motivées par les attentes des consommateurs : 63% d'entre eux souhaitent voir des marques dans le vrac, d'après Réseau Vrac. Aujourd'hui, parmi les entreprises qui expérimentent figure Kelloggs, avec deux tests en France. L'un se tient chez le distributeur spécialisé en vrac, Day by Day. Le deuxième devrait avoir lieu dans un Franprix parisien, où un corner est déjà dédié au vrac. Il propose des produits de diverses marques, comme Carte Noire, pour le café, les pastilles Vichy, ou encore le riz, Taureau Ailé.
Les expérimentations « très encourageantes »
Parmi les marques qui expérimentent figurent également Babybel (fromage) et Mustela, (produits de soin et d’hygiène pour bébé). Depuis mars dernier, en dépit du confinement, la marque a disposé deux machines qui distribuent, en libre accès, un produit d'hygiène pour bébé et du gel hydroalcoolique, dans deux pharmacies (Paris et Angers). Le consommateur remplit des flacons en verre. La démarche s'inscrit dans la stratégie de responsabilité sociétale de l'entreprise, d'après Ana-Elisabete Santos, responsable du projet chezl Expanscience, qui détient la marque .... Le vrac constitue aussi un marché potentiel : « 65% des parents sont prêts à acheter en vrac leurs produits d'hygiène bébé pour limiter les déchets », explique Ana-Elisabete Santos. Or, cette offre est pour l'instant inexistante...
Dans l'agroalimentaire, le groupe Bel s'est lui aussi lancé avec une expérimentation de deux mois : ses petits fromages, Babybel, sont vendus au poids, librement accessibles (avec des pinces) dans de petits frigos, dans six boutiques de la chaîne Day by Day. Dans ce cas aussi, la démarche marie engagement sociétal de l'entreprise et recherche de nouveaux marchés. Et pour les deux marques, les résultats sont «très encourageants ». Chez Mustela, d'après Ana-Elisabete Santos, les consommateurs ont montré un « réel intérêt » pour l'idée, - et les pharmaciens, indispensable chaînon du dispositif, aussi. Mieux : les ventes en vrac n'ont pas « cannibalisé » celles des produits emballés. Quant au Babybel, il semble gagner sur tous les tableaux : un acheteur sur deux étant un nouveau client, la démarche conforte l'entreprise dans son objectif de recruter de nouveaux consommateurs.
Par ailleurs, en poids, les achats étaient supérieurs à ceux de l'achat moyen en grandes et moyennes surfaces (GMS). « On donne la flexibilité d'acheter ce dont ils ont besoin. Ce qui est rassurant, c'est qu'ils achètent beaucoup de produits », note Anabelle Souchon, responsable marque et RSE chez Bel. Autre effet positif, un acheteur sur cinq a acheté un ou deux Babybels, pour dégustation immédiate. « Il s'agit d'un nouvel usage de consommation », remarque Anabelle Souchon.
Un modèle économique à inventer
Reste que, d'une expérimentation encourageante à l'industrialisation d'un processus, le chemin est encore long. Des freins restent à lever, des solutions à trouver, les résultats à confirmer. Mustela, par exemple, a constaté que la question du flacon en verre était « clivante » : certains consommateurs le jugent inhérent à la démarche du vrac, d'autres ne veulent pas de ce matériau fragile dans leur salle de bains. La communication doit être peaufinée : Mustela a fait évoluer l'interface de sa machine à plusieurs reprises. « Ce sont des réflexions qui mûrissent au fil de l'expérimentation », note Ana-Elisabete Santos. La marque entend confirmer les résultats de son expérimentation en proposant un autre de ses produits star, en libre accès, avant de se lancer dans plus de points de vente, et avec plus de produits.
Et surtout, en amont, c'est toute l'organisation industrielle et logistique de l'entreprise qui est questionnée. Par exemple, Annabelle Souchon décrit un chemin « semé d'embûches ». À commencer par la production. L'expérimentation a nécessité la mise en place d'une ligne « réduite » : les Babybels n'étaient enveloppés que de leur cire rouge, et non du cellophane. En l'absence de cette protection, il a fallu les manipuler avec précaution, organiser des transports en petite quantité. Et fournir les frigos... « Nous n'avons pas de visibilité claire sur ce que cela impliquera comme investissement, comme impact sur la chaîne de valeur », analyse Annabelle Souchon.
« Le modèle économique reste à trouver », confirme Ana-Elisabete Santos. Les deux marques y travaillent. Par exemple, Babybel envisage un nouveau projet avec Day by Day, qui prendrait la forme de frigos partagés avec d'autres marques. Une hypothèse, que, dans son domaine, Mustela n'exclut pas : « Nous partageons des linéaires avec d'autres marques. Donc, pourquoi pas ? C'est à travailler », explique Ana-Elisabete Santos. Et Célia Rennesson de conclure : « Trouver un modèle économique viable constitue l'un des enjeux majeurs du développement du vrac. Il implique une collaboration de tout le monde, si on veut aller au delà de la phase du test ».