La fibre optique se déploie à son rythme
L'installation d'un réseau de fibre optique sur le territoire picard représente un enjeu majeur pour son développement, mais celle-ci a un coût financier. Si les opérateurs privés et les collectivités territoriales se sont partagé le travail, tous les Picards ne seront pas desservis au même moment et de la même manière.
La fibre optique arrive chez vous », clamait en Une, en février 2010, le guide de l’ARCEP, le gendarme des télécoms. Force est de constater que cinq ans plus tard, la fibre optique, censée offrir un accès ultra rapide à Internet, n’est pas arrivée partout. Pire, les grandes agglomérations picardes ne sont couvertes qu’avec parcimonie. Dans un contexte où les opérateurs privés s’inscrivent naturellement dans une logique de rentabilité à court terme, les déploiements qui ont eu lieu dans un premier temps se sont faits dans les zones les plus peuplées. La treizième région en termes de densité de population, selon l’Insee, n’était donc pas une priorité pour les principaux opérateurs. Ce sont « des limites d’abord et avant tout budgétaires qui sont à l’origine de ce que vous percevez comme un frein », explique Olivier Girault, délégué régional pour la Picardie chez Orange.
Une volonté nationale
Pour remédier à cette problématique, a eu lieu en 2010 le lancement du Programme national très haut débit. L’objectif voulu était d’atteindre le chiffre de 100% des foyers raccordés au très haut débit en 2025. Pour ce faire, le programme prévoyait des subventions pour les collectivités, ainsi qu’un appel à manifestations d’intentions d’investissement (AMII). Ce dernier était émis en direction des opérateurs privés.
Il a permis de faire financer, à 80% pour Orange et 20% pour SFR-Numéricable, l’installation de la fibre optique dans les 12 métropoles françaises et 220 villes moyennes. En Picardie, ce sont la communauté de communes de l’Abbevillois, Amiens métropole, Chantilly, Soissons, les communautés d’agglomération de Laon et Saint-Quentin par Orange. Tandis que le groupe SFR-Numéricable installera la fibre dans les agglomérations de Compiègne, Beauvais et Creil. Les départements, quant à eux, ont à leur charge le développement de la fibre sur le reste de leur territoire. Cela représente 63% du département pour la Somme.
Dans l’Aisne, cela représente 757 communes sur 816. Enfin, dans l’Oise, cela représente 583 communes sur les 693 que compte le département. En février 2013, le gouvernement a lancé le Plan France très haut débit qui succède au Programme national très haut débit.
Celui-ci prévoit un investissement de près de 20 milliards d’euros sur dix ans, avec une « couverture du territoire qui sera intégrale en 2022 ». Il est divisé entre l’État, les opérateurs privés et les collectivités territoriales pour éviter le déploiement de réseaux parallèles.
À chaque territoire ses choix
Sur le terrain, les opérateurs privés et les syndicats, sous gouvernance départementale, se partagent l’installation de la fibre. Dans la Somme, Somme numérique est en charge de la développer tandis que dans l’Aisne, c’est l’Useda (Union des secteurs d’énergie du département de l’Aisne) et le SMOTHD (Syndicat mixte Oise très haut débit) pour l’Oise. Trois syndicats qui n’ont pas forcément fait le même choix. Dans l’Oise, « il s’agit de déployer directement de la fibre. Le plan départemental a fait le choix du 100% FttH – pour Fiber to the home ou fibre jusqu’au foyer », explique Sébastien Pernaudet, directeur général du SMOTHD. Dans l’Aisne et dans la Somme, l’installation de la fibre optique va être couplée avec une montée en débit dans un premier temps. « Pour faire patienter les habitants, on fait de la montée en débit. C’est-à-dire que l’on booste le débit sur le réseau cuivre pour avoir du haut débit », détaille Yves de Moliner, directeur général de l’Useda. « Pour accélérer les choses, il y a eu un programme intermédiaire. On peut très bien se retrouver avec plus de 100 mb/s sur le cuivre, mais il a ses limites. Alors que sur la fibre il n’y a pas de limites », poursuit Jean-Claude Leclabart, vice-président de Somme numérique chargé du développement des réseaux. Cela est un moyen de faire patienter les foyers jusqu’à l’installation complète du réseau. Dans la Somme, pour les endroits les plus reculés, où l’installation est plus coûteuse, « on a l’aide satellite pour compléter sur les zones où on ne va rien faire dans l’immédiat », relate Marie-Laure Crespel, directrice adjointe de Somme numérique.
Une installation progressive
Dans les foyers, l’arrivée ainsi que la possibilité de disposer d’un abonnement fibre ne vont pas être équitables. Si Amiens intra- muros dispose déjà et bénéficiera dans son entièreté de la fibre à la fin de l’année 2018, dans la Somme « l’objectif, c’est le FttH pour tous à horizon 2030 », précise Marie-Laure Crespel. Tandis que dans l’Aisne, « l’objectif, c’est qu’en cinq ans on ait desservi 50% de la population. Et 2025, on ait 75% des habitants raccordés en très haut débit », rapporte Yves de Moliner. Dans l’Oise, l’ambition est « de terminer le déploiement départemental pour 2021 », fixe Sébastien Pernaudet. Ces différentes échéances s’expliquent par les différences de ressources et de moyens de chaque collectivité. Toutefois, aucune zone n’est à l’abri de rencontrer des difficultés sur le terrain. « SFR ne s’attendait pas à voir autant de prises commercialisables sur un territoire rural tel qu’ils l’ont trouvé dans l’Oise. Donc, le temps de s’adapter, leurs équipes ont eu du mal sur quelques communes », relate Sébastien Pernaudet. Ailleurs, il arrive que « certaines armoires ne sont pas compatibles », rapporte Jean- Claude Leclabart. « On ne peut pas être partout au même moment », conclut Olivier Girault. L’installation de la fibre a un coût non négligeable et les investissements sont étalés sur plusieurs années. Certains devront donc patienter plus que d’autres.
« L’arrivée de la fibre va générer de nouveaux usages », Raphaël Trepant
L’installation de la fibre sur le territoire picard n’est pas une primauté sur le reste de la France. Seule la vitesse de mise en place fera qu’un territoire sera plus en avance et pourra ainsi attirer des entreprises. Cependant, cette donne ne sera plus valable en 2022 lorsque la France, dans sa grande majorité, sera équipée du très haut débit comme le souhaite le Plan France très haut débit de 2013. Ce sont les nouvelles pratiques, engendrées par la fibre optique et la vitesse des échanges via Internet, qui vont être intéressantes pour la Picardie. Selon Raphaël Trepant, chef de projet au sein d’Aisne numérique, l’arrivée de la fibre va plus jouer sur l’organisation des entreprises : « On rentre dans une logique de travail collaboratif. Cela est complètement différent d’une gestion pyramidale de projet. On peut imaginer, avec l’arrivée de la fibre, que cela va changer, car l’on pourra échanger des documents plus importants, mais aussi à distance avec une antenne en Chine ou aux États-Unis. » Cela va sans doute jouer sur les échanges au sein de l’entreprise mais aussi sur l’organisation du travail. « On ne peut plus passer à côté du télétravail. On renforce les outils pour pouvoir être efficace en télé-travaillant. C’est une source d’économie pour l’entreprise, car ça veut dire moins de locaux, moins de charges. Par ailleurs, on sait que dans le cas du télétravail –et les dernières études le montrent –, le salarié est plus productif chez lui que dans l’entreprise », relève Raphaël Trepant. L’arrivée de la fibre optique risque également de jouer sur les pratiques via les objets connectés. Si Raphaël Trepant pense que « les premiers utilisateurs ne vont pas être forcément les entreprises, car les salariés sont souvent mieux équipés que leurs sociétés », Olivier Jardé, élu Amiens métropole et hospitalier, note que « si le professeur Devauchelle veut opérer à distance aux États-Unis et au Japon, il lui faut la fibre ». Au-delà des usages, l’arrivée de la fibre ainsi que de masses de données risque de créer de nouveaux types d’emplois. « On peut voir un nouveau profil de salariés arriver dans l’entreprise : les analystes de masses de données. Cela existe déjà, mais ils seront sans doute un peu plus spécialisés », explique Raphaël Trepant en faisant dans la prospective. Désormais, il reste aux entreprises à se préparer aux changements que risque de générer l’arrivée de la fibre optique. S’il y a fort à parier que cela ne se fera pas du jour au lendemain, la présence du très haut débit risque fortement de chambouler les habitudes au sein des entreprises.
La fibre, un atout pour vendre le territoire saint-quentinois
« Il faut aller le plus vite possible dans le déploiement de la fibre optique haut débit », lance d’emblée Frédérique Macarez, vice-présidente chargée du développement économique à l’agglomération de Saint-Quentin.
La deuxième ville de Picardie tente de ne pas perdre d’avance sur ses consœurs picardes et d’autres villes concurrentes comme Cambrai et Arras. Le haut débit est aujourd’hui une source d’enjeu pour attirer les habitants mais aussi les entreprises, et ainsi créer une dynamique économique au sein de l’agglomération. « Sans le haut débit, il n’est plus possible d’accueillir de nouveaux habitants et de nouvelles entreprises. C’est aujourd’hui une demande qui croît », confirme l’élue.
Dans le cadre des zones AMII (appel à manifestation d’intention d’investissement), soumise à un appel d’offres national, l’agglomération de Saint-Quentin a signé un accord avec l’opérateur Orange. Ce dernier déploiera la fibre en ville entre 2013 et 2018 et dans l’agglomération entre 2015 et 2020. Des quartiers de Saint-Quentin sont déjà équipés, dont une partie du centre-ville. Cet été, c’est la pépinière d’entreprises Créatis qui a été raccordée à la fibre. « La vocation de Créatis est d’accueillir des start-up, consommatrices de flux importants. Avec cette bonne nouvelle, nous allons pouvoir poursuivre et amplifier la commercialisation de cet outil auprès des entrepreneurs », développe Frédérique Macarez. Cette dernière n’hésite pas à provoquer des réunions entre l’opérateur et des entreprises pour trouver des solutions face au coût souvent élevé que représente l’installation de la fibre.
Alexandre BARLOT