La pandémie précipite l'avènement d'un monde technologique

La pandémie a boosté les changements. « L'accélération de la digitalisation se retranscrit de manière très concrète », explique Guillaume Rio, responsable tendances technologiques à l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance. Cette cellule de veille a organisé une réflexion sur "Commerce Reloaded, l’événement annuel consacré aux impacts de la technologie sur la Consommation, et en particulier le Commerce"..

Par exemple, en 2020, les réseaux sociaux ont connu un essor sans précédent. En particulier, Tik Tok sort « grand gagnant », d'après Guillaume Rio. Il y a deux ans, c'était un réseau social pour adolescents. Le voici devenu une plateforme de contenus très riche, adoptée notamment par le Washington Post. Mais aussi, un lieu de commerce choisi par Walmart, distributeur américain, pour mener ses Live Stream Shopping, une version interactive du téléachat. Les chiffres sont vertigineux, qui disent l'effet accélérateur de la pandémie. Par exemple, le jeu vidéo a connu une croissance de 31% en 2020. Les rendez-vous de télémédecine ont été multipliés par dix. « Nous aurons du mal à revenir en arrière sur l’hyper-digitalisation du quotidien, de la vie privée et du travail », estime Guillaume Rio.

Cette tendance va - et a déjà - un impact fort sur le commerce. Des pratiques nouvelles se sont déployées, comme en Chine. Là bas, le shop streaming a vu son chiffre d’affaires doubler en 2020, pour atteindre 134 milliards d’euros. En Europe et aux États-Unis, des géants comme Carrefour et Walmart se lancent dans ce nouveau format de vente. Résultat, les magasins physiques devraient subir une importante transformation, jouant le rôle de « micro-centres logistiques », en appui à de nouvelles formes de vente en ligne. Partant, les modes de livraison aussi devraient changer. Aujourd'hui, elles demeurent un « point de pénibilité » pour le consommateur, rappelle Guillaume Rio : la moitié des consommateurs voudraient être livrés en deux heures, quand moins de 20% des distributeurs sont capables de le faire en moins de 48h. Pour lui, « nous allons avoir une démultiplication des modes de livraison ». Exemples : la livraison collaborative, réalisée par des consommateurs pour d'autres, mais aussi via des drones dans les zones rurales, ou encore par des robots...Ce dernier marché pourrait peser 33 milliards de dollars d’ici 2030.

Toyota dessine la ville de demain

Au delà du commerce, les mutations touchent aussi des secteurs, et, en particulier, l'automobile. « Nous allons vers des software compagnies », résume Guillaume Rio. Concrètement, demain, c'est le logiciel qui fera la valeur de la voiture. La tendance est là : il y a dix ans, un véhicule demandait 10 millions de lignes de code. Ce chiffre a déjà été multiplié par dix. Et pour un véhicule autonome, il atteint 500 millions... Le monde de l'automobile en est bouleversé : 60% des effectifs de Tesla travaillent sur les problématiques de logiciel, contre 20% chez les constructeurs traditionnels. Ces derniers s'adaptent. Par exemple, Volkswagen investit 27 milliards d'euros sur les logiciels. Parmi les enjeux : maintenance, reconnaissance faciale, maîtrise de l'énergie... Renault, lui, a développé un logiciel avec Google, pour proposer des services. Et en 2022, le constructeur va lancer MyLink un nouveau système « d'info-divertissement » pour la future Megane électrique eVision. Au menu : Google Maps, des applications accessibles par commande vocale sur Google Play... Autre exemple, Mercedes, a développé un Mbux, un système multimédia à intelligence artificielle. Cet assistant vocal permet, par exemple, de réserver un restaurant pour la prochaine étape. Les perspectives ouvertes par ces « software car » sont multiples : les services fournis pourraient déborder très largement de l'habitacle de ces nouveaux véhicules très communicants. Par exemple, un robot commandé depuis la voiture pourrait, à dix minutes de l'arrivée au domicile, préparer un verre de vin.

De manière moins anecdotique, « la finalité, c'est la ville de demain », explique Guillaume Rio. Elle est déjà en préparation. En février 2021, au Japon, Toyota a inauguré sa ville « Woven City » afin de tester et développer des technologies comme l'autonomie ou la mobilité personnelle. La cité comporte des rues aux statuts différents, l'une dédiée à la conduite autonome, une autre aux piétons et la troisième aux personnes conduisant un moyen de déplacement individuel. Une autre encore, souterraine, servira au transport des marchandises. Woven city, -360 individus pour commencer- devrait, à terme, compter plus de 2 000 habitants, salariés de Toyota compris.

« Des géants qui proposent tout »

Autre secteur où la pandémie a fortement accéléré l'adoption de nouvelles technologies, la médecine. En particulier, les « wearables », les objets portables connectés qui mesurent des données de santé, devraient se généraliser : la pandémie a incité les chercheurs à explorer leur utilité dans la surveillance des maladies infectieuses . À horizon 2023, le marché mondial de la e-santé représentera 235 milliards de dollars, selon le cabinet Frost & Sullivan. De quoi susciter l'intérêt de nombreux acteurs, qui se positionnent sur ce marché : géants de la tech, start-ups, et même... des distributeurs, comme Walmart. Au États-Unis, ce dernier possède déjà 20 cliniques, et compte en ouvrir de nouvelles, assorties d'une offre d'assurance... Car l'enjeu consiste à fournir un service complet, à l'image de Amazon Care. Lequel propose des services de télémédecine, des cliniques, des assurances, un bracelet connecté... L'entreprise dispose même d'un centre de recherche sur le cancer.

Les autres géants numériques ne sont pas en reste, dont Google et Apple qui travaillent à proposer des offres globales. Car au delà de la santé, dans le même sens, « depuis dix ans, nous pensons qu'il allait y avoir des plateformes de vie, des géants qui proposent tout. Cela commence à se généraliser », pointe Nicolas Diacono, analyste des tendances digitales chez BNP Paribas Personal Finance. Exemple avec Grab, société malaisienne qui a démarré en 2012 avec une activité de livraison. Aujourd'hui, elle propose shopping, micro-assurance, télémédecine, gaming. Demain : la création d'une banque...Autre exemple, en Russie, Yandex, originellement un moteur de recherche, qui s'est déployé, depuis, dans la santé connectée, le gaming, la musique, la banque et le shopping. En France, Cdiscount (commerce en ligne), qui compte 10 millions de clients, a ajouté à ses propositions initiales des forfaits mobile, une mutuelle, des voyages, l'énergie, la location de voiture... « On peut imaginer qu'il devienne un acteur serviciel de la vie des Français », avance Nicolas Diacono.