La Picardie joue en Avignon
Pour la neuvième fois, le conseil régional accompagne des compagnies picardes au festival d’Avignon. L’occasion pour celles-ci d’aller à la rencontre d’un autre public et d’être repérées par des programmateurs.
Créé en 1947, le festival d’Avignon est aujourd’hui l’une des plus importantes manifestations théâtrales au monde. Cette année le In et le Off ont rassemblé quelque 1 336 spectacles joués quotidiennement par plus de 1 000 compagnies venues de 26 pays. Une profusion qui attire spectateurs mais aussi programmateurs et rend indispensable la présence des professionnels du théâtre à Avignon. Pour faciliter l’accès à ce festival, le conseil régional accompagne et soutient financièrement les équipes picardes présentes au Off et leur met à disposition Le Petit Louvre, un lieu en cœur de ville qui permet aux professionnels de se retrouver, échanger et rencontrer d’autres acteurs culturels. En 2015, huit compagnies (Compagnie l’Échappée, Compagnie Franchement, tu, la Compagnie de la Cyrène, la Compagnie Des petits Pas dans les Grands, la Compagnie Chenevoy, la Compagnie de l’Arcade, Compagnie du Théâtre Tiroir et la Compagnie des gOsses), ont bénéficié d’un soutien de 73 000 euros. Deux compagnies picardes (A.L.I.S et la Compagnie du Zieu) ont présenté leur création dans le cadre du In.
Rencontrer un autre public
Depuis dix ans, la Compagnie de la Cyrène se rend « une année sur trois environ » à Avignon. Créée il y a 27 ans, elle se définit comme « liée à l’éducation populaire » et « ancrée dans les campagnes et villes de Picardie ». Cette année, la compagnie est présente avec Pas de Pardon, qui raconte les troubles vécus par les habitants de Maisoncelle-Saint- Pierre (Oise) suite à la découverte d’un corps dans la mare du village, d’ordinaire si calme. « Nous avons eu envie de laisser une trace dans un village où il ne se passe pas grandchose, où les gens ne font pas de bruit », explique Michel Fontaine, comédien et responsable artistique de la compagnie. Sur 230 habitants, une trentaine a accepté de se prêter au jeu du roman photo pour illustrer la pièce qui mêle également théâtre et musique. Même si celle-ci revêt un accent régional, la Compagnie de la Cyrène a souhaité la porter jusqu’à Avignon. « Cela a du sens d’être présents ici avec une pièce comme Pas de Pardon. Il y a partout en France des villages comme Maisoncelle-Saint-Pierre, nous espérons pouvoir remonter un projet similaire ailleurs, et Avignon peut nous permettre de poursuivre cette envie », ajoute Michel Fontaine.
Une présence indispensable
Outre un public plus exigeant et un rythme soutenu avec des représentations quotidiennes, le festival d’Avignon représente un investissement lourd pour les compagnies, évalué entre 30 et 50 000 euros pour un mois. La location de la salle (en moyenne 10 000 euros pour quelques heures par jour) est l’un des postes les plus conséquents. « Pour nous le festival se fait à perte, et le soutien du conseil régional est vital », note Audrey Bonnefoy, créatrice de la Compagnie Des Petits pas dans les Grands. « J’étais déjà venue en tant que comédienne, mais c’est la première fois que je suis à Avignon en tant que compagnie. Il est plus difficile d’attirer le public avec un texte inconnu et un spectacle de marionnettes », ajoute-elle. Pour cette deuxième création, la compagnie s’est appuyée sur un texte écrit par Audrey Bonnefoy sur sa grand-mère. La pièce qui existait en format court, a été retravaillée pour s’attacher à la révolte des ménagères de 1942 à Paris. De la Porte d’Orléans, raconte à travers les yeux d’une petite fille, incarnée par Audrey Bonnefoy, et à l’aide de 10 marionnettes réalisées à partir d’éléments de mercerie, la colère de ces femmes qui se sont rassemblées rue Daguerre. Les créatures pensées et réalisées par Alexandra Basquin grandissent au fur et à mesure du récit et évoluent dans un décor modulable. « J’ai très envie de faire tourner ce spectacle, et pour cela, Avignon est un lieu clé », conclut la comédienne, dont la compagnie est en résidence au Palace, théâtre de Montataire jusqu’en 2018.
Najat Vallaud-Belckacem à la rencontre de lycéens picards
Lors de son déplacement en Avignon, Najat Vallaud-Belckacem, ministre de l’Éducation nationale, s’est rendue au Lycée Frédéric Mistral qui accueillait une centaine de lycéens picards dans le cadre de l’opération Lycéen en Avignon. Depuis 2007, la Région, en partenariat avec le Centre d’entrainement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), a permis à quelque 600 lycéens de se rendre à Avignon pour les sensibiliser à l’art du théâtre, affiner leur sens critique mais aussi encourager une approche plus transversale des arts. Cette année, les élèves ont pu aller à la rencontre des huit compagnies picardes présentes, assister à des représentations du In et du Off et suivre des ateliers autour des pièces vues. Najat Vallaud-Belckacem, accompagnée d’Olivier Py, dramaturge, metteur en scène et directeur du festival d’Avignon, a d’ailleurs assisté à l’un d’entre eux. Dans une salle de classe de l’établissement, une dizaine de lycéens déambulent en cercle, silencieusement. L’un d’entre eux leur crie de façon régulière : « Ton silence est une machine de guerre ». « Ces élèves ont assisté à une représentation du Roi Lear », explique Charly, animateur venu de Beauvais. « Il est question ici de les faire vivre des situations qu’ils ont observées dans cette pièce pour créer une véritable photo shakespearienne et pour qu’ils soient plus réceptifs à ce qu’ils ont vu », ajoute-t-il. Après cet atelier, la ministre interroge chacun sur son parcours, sa relation au théâtre et si cette pièce a changé sa vision du monde. : « Imprégnez-vous de cette intelligence et de cette beauté, le théâtre peut avoir un rôle majeur à jouer dans la société ». Une approche partagée par Claude Gewerc, président du conseil régional qui a rappelé l’importance de proposer à des lycéens picards de prendre part au festival d’Avignon : « La culture de demain se joue ici. La culture recherche et invente, elle participe à l’invention d’une nouvelle façon de vivre ensemble. À nous d’organiser les conditions pour développer cet autre rapport au monde », a-t-il souligné. De son côté, Olivier Py a salué « l’engagement de la force publique qui est exactement dans son rôle en proposant ce genre d’opération », rappelant également qu’Avignon est un moment de transmission et que ces lycéens et le jeune public étaient l’avenir du festival. Une expérience que souhaite revivre Fayçal Nasri, 20 ans, en BTS au lycée amiénois Delambre : « C’est la première fois que je viens au festival, c’est une expérience unique. Je suis impressionné par la profusion de spectacles. L’intérêt aussi, c’est de rencontrer d’autres lycéens, d’être mélangés et de partager tout ça avec eux ».
Avignon, lieu de rencontres professionnelles
Le festival d’Avignon est aussi un temps de rencontre et d’échanges pour les divers acteurs culturels. L’association de compagnies professionnelles de spectacle vivant de Picardie, Actes pro, a saisi cette opportunité pour organiser des réunions ouvertes à tous les acteurs culturels du territoire pour aborder des questions d’actualité, comme le maillage culturel en Picardie. « L’étude menée par l’INSEE sur la culture en Picardie, qui mettait en avant le sous équipement de la région en matière de scènes conventionnées, de théâtre et de cinéma, a suscité beaucoup de réactions. Nous avons donc décidé de nous intéresser aujourd’hui au maillage, mais aussi à la politique culturelle mise en place en Picardie », explique Nicolas Saelens, co-président d’Actes pro. Menée en mai dernier, cette étude commandée par la Drac a pointé la disparité géographique des équipements culturels mis à disposition des habitants, entraînant une certaine inégalité territoriale. « Je préfère avoir un point de vue équilibré, cette étude a mis en lumière un certain nombre d’éléments, mais elle a une vision très ministérielle », temporise Sébastien Auchart, directeur adjoint du développement culturel au conseil régional de Picardie. « Cette étude ne prend pas en compte ce qui a été mis en œuvre par les départements et le conseil régional, à savoir une offre en territoire avec des lieux intermédiaires, des résidences prolongées qui permettent d’aller à la rencontre des populations les plus éloignées des équipements culturels et qui n’ont peut-être pas les codes d’accès à des scènes nationales ou conventionnées », ajoute-t-il. Sylvie Baillon, directrice de la compagnie Tas de sables – Ches panses vertes, pôle des arts de la marionnette, a elle mis en avant le travail de création effectué auprès de jeunes artistes qui deviennent des compagnons lors de leur apprentissage mais aussi la diffusion de cet art sur la région. « Nous fabriquons des projets avec des partenaires en territoire qui ont envie de partager une expérience avec nous. Nous en comptons entre 20 et 25, de l’association à la communauté de communes. Tout cela nécessite une certaine exigence de travail, de temps et de discussion », souligne-t-elle. Autre source de réflexion, la continuité de la politique culturelle, puisque pour l’instant, aucune loi n’oblige un exécutif à soutenir la création. « Nous sommes effectivement dans une période de contraction des moyens financiers, mais il faut donner la possibilité aux territoires de faire venir des compagnies et de créer des synergies. Pour contrer les clivages politiques il faut que les compagnies et leur partenaires initient des projets forts, qui s’imposent d’eux-mêmes », note Sébastien Auchart.