Entretien avec Éric Mezin, délégué général de l'UITH
« La région est une référence européenne en matière de textiles techniques »
La filière textile-habillement régionale a globalement bien résisté à la crise, celle-ci a même insufflé un nouvel élan au secteur qui a vu la demande de produits Made in France décoller. Avec 400 entreprises et 14 000 emplois, les Hauts-de-France se classent au deuxième rang des régions textiles de France derrière l'Auvergne-Rhône-Alpes. Entre investissements et recrutements, les entreprises régionales ont retrouvé des couleurs. Éric Mezin, directeur général de l'Union des industries textiles et habillement, dresse un état des lieux de la filière.
Picardie La Gazette : Comment se porte la filière en cette période post-covid ?
Éric Mezin : Notre secteur a plutôt correctement
traversé 2020 et 2021, mis à part le secteur de la dentelle-broderie de
Caudry qui a particulièrement été impacté par la crise ! Nos amis de la
distribution, eux, souffrent, ont souffert et continuent de souffrir car
la consommation nationale de mode n'a pas encore retrouvé ses chiffres
d'avant-crise. Cela a des répercussions sur la filière... Pour autant,
les industriels en région qui ont fait le pari du Made in France ont vu
la demande s'amplifier avec la crise. Nous avions identifié avant mars
2020 des signaux positifs pour l'activité des industriels qui produisent
localement, mais la Covid a confirmé et accéléré cette tendance.
La crise a-t-elle finalement insufflé une nouvelle dynamique à la filière ?
Nous constatons une vraie prise de conscience du
consommateur. Ce mouvement existait déjà avant mais s'est amplifié avec
la Covid. Ce n'est pas propre à la filière textile-habillement, mais une
partie des consommateurs consomment de façon plus responsable et c'est
une bonne nouvelle pour notre filière !
Les nombreux investissements annoncés par les industriels au cours de l'année 2021 laissent entrevoir un avenir proche serein. Quel regard portez-vous sur cela ?
En effet, une quinzaine de plans de relance ont été acceptés pour nos industriels en région. Il s'agit de subventions d'investissement conséquentes, à hauteur de plusieurs centaines de milliers d'euros. À titre d'exemple, le fabricant de tissus techniques et numéro 1 mondial sur son marché, Dickson, ouvrira une seconde usine à Hordain (40 M€, 150 emplois à la clé, ndlr), Cousin Surgery, le leader international des implants textiles innovants, a obtenu un plan de relance sur sa partie investissement, de même pour Peignage Dumortier, l'un des derniers peignages indépendants français également.
Ces exemples sont d'excellentes nouvelles ! Cela confirme que nos
chefs d'entreprise, indépendamment de la conjoncture actuelle, font le
pari sur l'avenir à la fois en investissant et en recrutant. Ce sont des
éléments encourageants pour l'attractivité de la filière. Mais
aujourd'hui des petites inquiétudes viennent se greffer à la tendance
générale, comme la hausse des prix des matières premières, de l'énergie
ou encore la pénurie de main-d'oeuvre. La filière a beaucoup de mal à
attirer des candidats à l'emploi. Et pourtant, nous comptons
actuellement plus de 1 000 postes à pourvoir d'ici à fin 2022.
Quelles sont les forces du territoire ?
Nous avons la chance d'avoir un écosystème très conséquent avec le CETI, unique en Europe, le pôle de compétitivité EuraMaterials, Clubtex, qui suit une belle dynamique de développement, l'incubateur Maisons de Mode ou encore l'ENSAIT, qui forme les ingénieurs textile. Les formations sont très présentes également sur le territoire. Enfin, sur le plan culturel, plusieurs acteurs, comme la Piscine de Roubaix et la manufacture de Tourcoing, ont un patrimoine textile très important. Des collaborations entre les structures existent déjà, notamment entre l'ENSAIT qui collabore avec le CETI et EuraMaterials, entre autres via son laboratoire.
Nous disposons d'un écosystème encore plus important que la région
Rhône-Alpes, mais nous avons souhaité aller encore plus loin en unissant
les forces des acteurs de la filière autour d'une bannière commune la
Textile Valley. L'objectif est de promouvoir tous les savoir-faire de
nos entreprises, rapprocher tous ces acteurs, attirer les candidats à
l'emploi et développer du business intrarégional. Car les industriels se
connaissent mal entre eux... L'idée est d'identifier les savoir-faire
en région et les mettre à disposition de ceux qui sont en recherche de
techniques particulières.
Les textiles techniques représentent-ils le principal atout de la filière régionale ?
Une partie de notre écosystème est effectivement dédié aux textiles techniques, qui créent une dynamique très forte. La région est une référence européenne en matière de textiles techniques. Nous disposons d'acteurs de poids dans ce domaine, à l'image de Dickson, leader mondial des textiles techniques outdoor (toiles de store, toiles de bateau), Cousin Trestec, leader mondial dans le cordage, Sommer Needlepunch, fabricant de tapis pour l'événementiel. Nous tenons cette réputation grâce à notre diversité d'acteurs qui s'adressent à tous les marchés, à savoir le sport, le médical, les EPI (vêtements de protection), l'automobile, l'aérospatiale ou encore le BTP. Il y a des textiles partout autour de nous sans qu'on en ait conscience. C'est là que la région a des cartes à jouer.
Quelles sont les grands chantiers de la filière textile-habillement à venir ?
La filière accélère sur le volet RSE : de l'écoconception de nos produits, pour qu'il y ait le moins d'impact environnemental, à la traçabilité, pour afficher les différentes étapes de fabrication et lieu de fabrication, jusqu'à l'affichage environnemental, pour indiquer au consommateur l'impact environnemental du produit sur toute sa phase industrielle. Ce sont les plus importants sujets à venir et aussi de gros leviers de développement.