Le financement participatif, nouveau moyen de donner vie à ses projets ?
Véritablement installé en Picardie depuis 2013, à travers différentes plateformes de financement participatif, le crowdfunding peut-il devenir une alternative crédible aux méthodes traditionnelles d'investissement ?
À deux, à mille, je sais qu’on est capable », chantait, en 2008, l’isarien Grégoire dans sa chanson Toi plus moi. L’artiste ne pouvait pas mieux définir le principe même du financement participatif.
Plus connu sous le nom anglophone de crowdfunding, le principe est de faire investir des particuliers dans un projet. Le Senlisien a, lui-même profité de l’arrivée en France de cette méthode, en 2007, pour lancer une cagnotte. Par ce biais, il a pu lever 70 000 euros auprès de donateurs particuliers pour financer son premier album.
Huit ans après l’arrivée du crowdfunding en France, le monde de l’entreprise picard commence à se tourner vers cette solution qui a levé près de 152 millions d’euros, en 2014, selon CompinnoV* pour l’association Financement participatif France**.
La première difficulté rencontrée est surtout d’identifier les différents types de crowdfunding.
À chaque projet son système de financement
Kisskissbankbank. Ulule. Les noms des champions français, qui ont récolté 15 et 13 millions d’euros en 2014, reviennent souvent dans les oreilles.
Ce ne sont pas les seuls. En Picardie aussi, il existe des plate-formes de financement. « Nous, nous sommes sur du don contre don avec Notre petite entreprise.
En échange d’une certaine somme, il va falloir proposer quelque chose. Cela permet de lever entre 2 et 5 000 euros », explique Peggy Nowak, la responsable de l’antenne BGE à Amiens. Ce mode de financement est bien souvent destiné aux petites structures. Il permet de réaliser des achats de petites tailles sans forcement passer par une banque. En échange d’une somme d’argent, le contributeur reçoit un conseil ou un service à la hauteur de sa participation. Ce fut le cas de Séson, restaurant locavore à Nogent-sur-Oise, qui a proposé pour 30 euros une invitation à la soirée inauguration ou pour 500 euros la privatisation de la salle. Par ce procédé, Antoine Ferchaud, le fondateur, a réussi à lever 3 745 euros alors qu’il en demandait 3 000 au départ.
Ce type de crowdfunding tend à se développer en Picardie. « Le don contre don, on l’a expérimenté et on va le généraliser », dévoile Claudine Jacob-Ternisien, la directrice d’Initiative Somme. L’association spécialisée dans l’accompagnement de projets financiers développe depuis novembre 2013 une autre forme de crowdfunding via Tellement prêt. « On s’est positionnés immédiatement sur une plate-forme qui fait du prêt à taux zéro, car notre métier, c’est d’accompagner les créateurs d’entreprises par du financement à taux zéro », développe Claudine Jacob-Ternisien. Cette solution de prêt permet de lever jusqu’à 15 000 euros en Picardie. Elle est souvent utilisée pour des financements plus importants comme le passage à une production industrielle d’un prototype comme ce fut le cas de Gilles de Poncins, à Méricourt-en-Vimeu, avec sa bûche de bois Kali.
Enfin, le troisième type de crowdfunding est l’equity.
Ce modèle, porté en Picardie par la start-up Finance Up, basée au L@b à Amiens, permet de lever jusqu’à un millions d’euros en France.
À travers cette forme de crowdfunding, des entreprises peuvent lever des fonds auprès d’investisseurs particuliers en leur offrant en retour des parts du capital de la société. « Le manque de fonds propres pour les entreprises françaises étant vraiment problématique pour leur développement, l’equity permet de répondre à cette demande. Cependant, il ne faut pas minimiser le fait que les risques sont élevés pour l’investisseur », décrypte Édouard Théron, le créateur de Finance Up.
À chaque méthode son donateur
Le créateur de Finance Up, lancé en novembre 2013, ne minimise pas les risques pour l’investisseur.
« Un profil qui convient bien est celui de l’entrepreneur, car il a des moyens, il connaît les difficultés que l’on a pour monter un projet financièrement et bien souvent, ce sont des personnes qui aiment l’aventure », décrit Édouard Théron à propos de l’equity. En moyenne, le donateur investit entre 1 000 et 5 000 euros dans un projet.
C’est moins le cas d’un contributeur sur la plate-forme Tellement prêt.
« Le contributeur moyen sur un prêt non rémunéré en France est de moins de 100 euros. Nous dans la Somme, on est au-dessus de 300 euros », explique Claudine Jacob-Ternisien. L’avantage du prêt à taux zéro, c’est qu’il y a un remboursement. Cependant, l’argent prêté n’est pas fructifié. Dans beaucoup de cas, il s’avère que les fonds proviennent du cercle proche.
« Parmi les contributeurs à mon projet, on trouve à peu près 50% de personnes de mon entourage et 50% venants de l’entourage du conseil général », commente Christophe Marie qui a eu recours au crowdfunding pour acheter une dizaine de canoës.
Il semble que le cercle des donateurs tende à se resserrer sur ses proches lorsque l’on fait appel au don contre don. « Pour le moment, ce sont beaucoup de personnes liées à mon entourage qui ont participé », raconte Céline Fouquet qui souhaite développer son entreprise de conseil et de conception de jardins par ce biais.
Une tendance confirmée par Claudine Jacob-Ternisien : « Le don contre don fait souvent appel à un cercle plus res- treint. On a des difficultés à élargir le cercle. »
Un choix encore marginal
Si ces nouveaux modes de financement se développent, il s’avère qu’ils sont encore peu solliciter par les porteurs de projets. « L’élément que l’on a le moins bien apprécié, c’est la réticence des porteurs de projets à venir sur ce système », avoue Claudine Jacob-Ternisien. Encore méconnu, le crowdfunding est « mine de rien, assez chronophage », note Peggy Nowak.
Ce nouvel outil de financement impose aux demandeurs de communiquer sur les réseaux sociaux afin de faire connaître ses idées. « Si le porteur de projet n’a pas compris qu’il fallait communiquer, il n’a rien compris », assène Claudine Jacob- Ternisien. « On ne va pas proposer à n’importe qui ce mode de financement. Il faut une personne dynamique », développe Peggy Nowak. Édouard Théron est plus optimiste : « Je pense qu’il est possible d’occulter le paysage bancaire à terme. C’est possible peut-être marginalement aujourd’hui mais à l’avenir, on va tendre à ce type de financement selon moi. » Pour le moment, force est de constater que ce type de financement est à la marge en Picardie. Cela est aussi bien loin des ambitions affichées le 14 février 2014, par Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie et des finances et Fleur Pellerin, alors ministre déléguée chargée des PME, de l’innovation et de l’économie numérique qui souhaitaient : « faire de la France le pays pionnier du financement participatif. »***
* Cabinet de conseil pour le développement de la compétitivité et l’innovation des entreprises.
** Association qui représente les acteurs du secteur auprès des pouvoirs publics.
*** Lien vers les annonces du gouvernement : http://www.economie.gouv.fr/france-pionnierfinancement-participatif-0
Céline Fouquet : « Cela m’a permis d’avoir une visibilité que je n’aurais pas eue en passant par une banque »
« Le crowdfunding, c’est quelque chose de nouveau pour moi. » Céline Fouquet l’avoue d’emblée. La trentenaire isarienne n’a découvert ce mode de financement qu’à partir du moment où elle a intégré le réseau BGE pour créer son entreprise. « J’ai découvert “Notre petite entreprise”, la plate-forme, de don contre don, proposée par la BGE via My Major Company grâce à Peggy Novak, la responsable d’antenne à Amiens », explique la conceptrice paysagiste. Elle a opté pour cette méthode, car celle-ci s’accordait le mieux avec sa situation. « Le fait d’avoir un prêt personnel n’est pas un terrain favorable, car cela ne rassure pas les banques. De plus, en optant pour un prêt j’aurais eu des intérêts. Il ne faut pas occulter non plus le fait que cela m’a permis d’avoir une visibilité que je n’aurais pas eue en passant par une banque », développe Céline Fouquet.
Cependant, si celle qui s’est lancée dans le conseil et la conception de jardins a décidé d’échanger ses conseils et ses services en botanique contre quelques euros, elle reste critique face à ce type de financement. « C’est plus risqué qu’une banque, car on a moins de chances d’atteindre la jauge. Au départ, les contreparties proposées sont susceptibles d’attirer des personnes extérieures à mon cercle, mais dans les faits c’est un peu moins le cas. Ce type de financement est aussi chronophage. Il faut être à fond sur le marketing et beaucoup communiquer sur les réseaux », conclut-elle. À 28 jours du terme de sa collecte, Céline Fouquet a atteint 575 euros sur les 1 350 euros demandés.
Alexandre BARLOT