Le grand bouleversement de la géographie industrielle française
Avec près de la moitié des effectifs perdus en 40 ans, le constat de la désindustrialisation nationale est bien connu. On sait moins que les industries nouvelles se localisent de plus en plus vers l’ouest et le sud de l’Hexagone. Une cartographie reconfigurée, dressée par l’Observatoire des territoires.
En 1975, l’industrie employait 6 millions de personnes, ce qui en faisait le premier pourvoyeur d’emplois en France. Quarante ans plus tard, elle n’en employait plus que 3,3 millions, rétrocédant au rang de quatrième pourvoyeur d’emplois. Le phénomène, national, a diversement impacté les territoires. Mi-novembre 2018, l’Observatoire des territoires, rattaché au ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, a publié une fiche d’analyse qui retrace cette évolution : « L’industrie dans les territoires français. Après l’érosion, quel rebond ? ».
Celle-ci est globalement liée à plusieurs phénomènes. Les délocalisations vers des pays à plus faible coût de main-d’œuvre s’ajoutent à l’impact de l’augmentation de la productivité, ainsi qu’à la tertiarisation de l’économie : une partie importante des fonctions support de l’activité industrielle sont aujourd’hui externalisées, les emplois afférents étant donc comptabilisés dans d’autres secteurs d’activité. D’après l’Observatoire, la quasi-totalité des territoires a été impactée par l’érosion de l’emploi industriel. Mais celle-ci a été particulièrement importante dans certaines régions, fortement industrialisées. Depuis les années 1970, les régions Hauts-de-France et Grand Est ont été les plus affectées. Ainsi, par exemple, la première a perdu 280 000 emplois entre 1975 et 2014, et le poids de l’industrie dans l’emploi régional y est passé de 39 à 14,9%.
Une industrie répartie de manière plus homogène
Deux autres régions, Auvergne-Rhône-Alpes et l’Île-de-France, ont également été marquées par une chute vertigineuse du nombre d’emplois dans l’industrie. En Île-de-France, ces effectifs, qui frôlaient le million, ont fondu des deux tiers. Dans le secteur de la construction automobile, par exemple, plus de 100 000 personnes étaient employées en 1975, en 2014, elles n’étaient plus que 30 000. D’autres régions françaises, perçues comme très industrielles, ont également connu des baisses d’emplois du secteur significatives, à l’image de l’ancienne région Auvergne, la Bourgogne-Franche-Comté et la Normandie. À chaque fois, ce sont des sites spécifiques qui ont été particulièrement touchés, comme Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Montluçon (Allier) ou encore Montceaules-Mines et le Charolais (Saône-et-Loire). Résultat de cette évolution, « l’’industrie est aujourd’hui répartie de manière plus homogène, en France, qu’elle ne l’était dans les années 1970 », note l’étude. Toutefois, la hiérarchie entre les régions demeure : le Nord et l’Est (Hauts-de-France, Grand Est, Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Normandie) continuent de concentrer le plus les emplois industriels. Cas particulier, le sud de la France reste un peu à l’écart de cette évolution. En effet, il était peu industrialisé dans les années 70, avec une part d’emplois dans ce secteur généralement inférieur à 10%, à quelques exceptions locales près, comme l’arrière-pays languedocien, avec le textile.
Un glissement vers l’Ouest
Pour l’Observatoire des territoires, on assiste aujourd’hui à une « recomposition de la géographie industrielle. (…) Un mouvement encore timide, mais qui semble s’affirmer : le glissement de l’industrie d’un grand quart nord-est vers les régions de l’Ouest ». Les régions du Nord et de l’Est pèsent encore fortement dans l’industrie française. Toutefois, l’Ouest et le Sud s’affirment comme les territoires privilégiés de création de l’activité industrielle. Les entreprises naissent, en particulier, en Bretagne, Pays-de-la-Loire, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) et Auvergne-Rhône-Alpes. Ainsi, les zones d’emploi les plus dynamiques de ces régions concentrent 38% des 24 500 entreprises industrielles créées en 2016. Et les domaines d’activité sont variés, qui vont des hautes technologies, à l’agroalimentaire, en passant par la production de biens de consommation courante. D’après l’Observatoire, « il est impossible d’établir une relation directe entre la fermeture d’une entreprise industrielle dans le Nord-Est et sa relocalisation dans l’ouest ou le sud de la France ». Partant, ces industries ne se ressemblent pas. « Les régions de l’Ouest et du Sud se caractérisent par un tissu industriel dont la structure (taille des établissements) et les secteurs d’activité sont relativement différents de ceux présents dans le Nord-Est du pays ».
À l’ouest, de plus petites entreprises
Ainsi, la France de l’industrie se divise en deux grands ensembles macro-régionaux (NordEst vs Ouest et Sud). Par exemple, les établissements industriels localisés dans l’Ouest et le Sud sont globalement de plus petite taille que ceux présents dans les régions du NordEst. Dans les régions les plus méridionales (Auvergne-Rhône-Alpes, PACA, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine), les établissements de moins de 50 salariés sont ceux qui emploient la plus forte proportion de travailleurs de l’industrie (de l’ordre de 40% des salariés). Dans les régions les plus au nord (Île-de-France, Hauts-de-France, Grand Est, Normandie), ce sont les grands établissements qui sont les premiers pourvoyeurs d’emplois dans l’industrie. Les établissements de plus de 200 salariés y offrent des emplois à plus de 43% des travailleurs de l’industrie manufacturière. Autant de caractéristiques qui expliquent les difficultés liées aux fermetures d’usines intervenues dans les régions Hauts-de-France ou Grand Est, comme Arcelor-Mittal à Florange, ou Goodyear à Amiens. Par ailleurs, l’histoire et la géographie expliquent aussi les différences de poids et de spécialisation des industries, d’un territoire à l’autre. À Clermont-Ferrand, l’histoire d’une famille, les Michelin, a pesé sur le destin industriel de la ville. Au XIXe siècle, à Lyon, la géographie, avec la présence d’une indispensable ressource en eau, a permis le démarrage de la chimie des colorants, devenue structurante pour l’économie régionale.