Régulation des « dark stores » et « dark kitchens » : le point sur la réglementation
Depuis des « dark stores » ou « dark kitchens », souvent d’anciens magasins transformés en entrepôts et cuisines, les start-up de « quick commerce » assurent la livraison express, par coursiers, des repas ou courses commandés via une application dédiée. Rapide tour de la réglementation en la matière qui permet d’évoquer l’arrêté du 22 mars 2023 définissant les dark stores et la décision du Conseil d’État du 23 mars confirmant le pouvoir de sanction du maire.
Une ouverture soumise à autorisation de la mairie
Une société désirant ouvrir un « dark store » dans un bâtiment déjà existant doit préalablement saisir la commune d’une demande d’autorisation dans laquelle elle devra indiquer le changement de « destination » du bâtiment. En vertu de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme, la société devra déposer une demande de permis de construire lorsqu’elle prévoit de modifier « les structures porteuses ou la façade du bâtiment ». Dans tous les autres cas, seule une déclaration préalable sera nécessaire. C’est dans cette demande de permis ou déclaration préalable que le pétitionnaire indiquera le changement de destination du bâtiment.
Quelle « destination » et « sous-destination » pour les « quick commerces » ?
Si l’ouverture est donc soumise à autorisation, le formulaire CERFA dédié, doit indiquer la « destination » et la « sous destination » de l’activité pratiquée ; ce qui n’était pas sans soulever de nombreuses interprétations juridiques, toutes levées par le décret n° 2023-195 du 22 mars 2023, son arrêté du même jour, ainsi que la décision du Conseil d’État du 23 mars suivant*.
Pour résumer, l’état du droit est aujourd’hui le suivant : le Code de l’urbanisme prévoit cinq « destinations » précisées à l’article R. 151-28 par 21 « sous destinations », elle mêmes définies par l’arrêté du ministre du Logement et de l'Habitat durable du 10 novembre 2016.
En ce qui concerne les « dark kitchens », le décret du 22 mars 2023 précise bien qu’elles entrent dans la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire ».
Pour les « dark stores », deux situations sont à distinguer :
- soit, hypothèse principale, le « dark store » n’est pas destiné à l’accueil d’une clientèle : dans ce cas, il relèvera obligatoirement de la destination « autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire » et plus précisément de la sous destination « entrepôts ». Sur ce point, l’arrêté du 22 mars 2023 apporte une nouvelle définition de cette sous-destination. Il s’agit des « constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l'entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d'achats au détail commandés par voie télématique, ainsi que les locaux hébergeant les centres de données »;
- soit le « dark store » prévu peut accueillir une clientèle (par exemple, parce qu’il possède un comptoir de retrait de commandes, que ses horaires d’ouverture sont clairement définis …) et dans ce cas, il relèvera de la destination « commerce et activités de service », et plus précisément de la sous-destination « artisanat et commerce de détail », « y compris si l’activité de livraison reste prédominante », précise un guide publié par le gouvernement.
À noter : dans les villes dont le PLU, Plan local d’urbanisme, serait plus ancien (dont l’élaboration ou la révision « normale » a été prescrite à compter du 1er janvier 2016), il doit être uniquement fait référence aux anciennes neuf destinations que comportait alors le Code de l’urbanisme, ainsi qu’aux règles propres de chaque PLU.
L’intérêt de ces nouvelles définitions juridiques : le pouvoir de sanction du maire
Pourquoi tant de débats autour de ces questions de qualification juridique ? Simplement parce que les PLU peuvent interdire certaines activités, à certains endroits. Les mairies peuvent donc refuser un permis de construire ou une déclaration préalable et in fine, donc interdire l’implantation d’un quick commerce.
Plus encore , non seulement le maire peut s’opposer préalablement à l’implantation d’un dark store ou d’une dark kitchen, mais aussi, en outre, sanctionner un quick commerce implanté en méconnaissance des règles du PLU. En effet, dès lors qu’il a connaissance d’une infraction aux règles de fond ou de procédure, le maire est tenu de dresser un procès-verbal (PV) de constat d’infraction qu’il doit transmettre au procureur de la République.
Après transmission du PV, les articles L. 481-1 à L. 481-3 du Code de l’urbanisme lui permettent de mettre en demeure le responsable, soit de mettre son installation en conformité avec les règles d’urbanisme applicables, soit de déposer une demande d’urbanisme. Cette mise en demeure, qui peut être accompagnée d’une astreinte de 500 euros par jour de retard, doit être précédée d’une procédure contradictoire.
À cet égard, dans sa décision du 23 mars dernier, le Conseil d’État énonce que ce pouvoir de sanction est applicable « à l'ensemble des opérations soumises à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou dispensée, à titre dérogatoire, d'une telle formalité et qui auraient été entreprises ou exécutées irrégulièrement. Il en est notamment ainsi pour les changements de destination qui, en vertu de l'article R. 421-17 du Code de l'urbanisme, sont soumis à déclaration préalable lorsqu'ils ne sont pas soumis à permis de construire ». Le Conseil d’État confirme ainsi très clairement le pouvoir de sanction du maire envers les dark stores ou dark kitchens en infraction.
De même, si les travaux continuent, après avoir dressé le PV, le maire peut, en cas de méconnaissance de règles de fond, prendre un arrêté interruptif de travaux. En cas de construction sans autorisation, il sera même dans l’obligation de prendre un tel arrêté. Là encore ces arrêtés doivent être précédés d’une procédure contradictoire.
Enfin, l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme prévoit qu’après transmission d’un PV de constat d’infraction au procureur de la République, le tribunal correctionnel peut sanctionner le gérant d’une amende comprise entre 1 200 et 6 000 euros par mètre carré de surface construite ou 300 000 euros.
*CE, 23 mars 2023, n° 468360.