Le rail européen peut mieux faire
Alors que le train représente une alternative durable à l’avion comme à la voiture, certaines liaisons manquent encore, en Europe, pour rendre le réseau ferroviaire crédible. Les voyageurs ont moins besoin d’infrastructures nouvelles que de coordination des opérateurs.
Entre
Mons (Belgique) et Aulnoye-Aymeries (France), le dernier train
circulera en décembre 2022. La compagnie ferroviaire belge, la SNCB,
justifie sa décision, annoncée en juillet, par le faible nombre de
passagers qui empruntent la ligne. Cette fermeture s’ajoute à
d’autres suspensions de services décidés ces dernières années.
« Il n’est pas étonnant que les passagers ne soient pas
nombreux ! Seuls deux trains par jour circulent dans chaque
sens, et le premier part de Mons à 6h04, à l’aube ; quand je
l’ai pris, j’étais le seul passager », tonne Jon
Worth, journaliste, blogueur et enseignant.
Ce
Britannique polyglotte de 42 ans qui vit à Berlin est un grand
connaisseur du ferroviaire. Pendant quarante jours, de la mi-juin à
début août, il a traversé toutes les frontières d’Europe qu’il
est possible de passer en train. Pour financer son projet, baptisé
« crossborderrail », une levée de fonds auprès
des particuliers lui a permis de réunir 7 400 euros. Avec cette
somme, il a acquis une carte Interrail, qui ouvre le droit de
circuler dans toute l’Europe, des nuitées d’hôtel, un vélo
pliant pour passer les frontières non desservies par le chemin de
fer et même un drone pour apporter des témoignages en images.
Pourquoi
faut-il faciliter le passage des frontières en train ? « La
réponse varie selon les pays et les configurations »,
répond Jon Worth. « Dans certaines régions, comme dans le
nord de la Tchéquie, ou en Lorraine, vivent des salariés qui
travaillent dans le pays voisin, Allemagne ou Luxembourg. Des trains
réguliers leur permettraient d’éviter la voiture, plus coûteuse.
Ailleurs, des flux de touristes se déplacent surtout par la route.
Enfin, des liaisons pourraient être établies entre des grandes
villes », ajoute-t-il. Le train, né en Europe au début du
19ème siècle, apprécié des voyageurs mais parfois
délaissé par les pouvoirs publics, subit la concurrence de la
voiture, et, pour certains trajets, de l’avion.
« Les infrastructures ne suffisent pas »
Le
spécialiste berlinois a bâti son enquête de terrain, relayée sur
les réseaux sociaux, à partir d’un rapport parlementaire de
l’eurodéputé écologiste Michael
Cramer qui, en 2015, préconisait la construction, ou
la reconstruction, de « liens manquants », des
voies ferroviaires détruites pendant la dernière guerre ou
démontées dans les décennies suivantes.
Or,
les élus et décideurs européens « promettent d’investir
de l’argent dans les infrastructures, sans se rendre compte que
celles-ci ne suffisent pas », regrette Jon Worth. Pour
faire rouler un train, les rails ne suffisent pas. « Il
suffirait parfois de régler des problèmes bien plus simples :
les horaires ne sont pas coordonnés, les tarifs demeurent
incompréhensibles, ou les compagnies ferroviaires n’ont pas
échangé leurs données », déplore-t-il.
À la frontière entre le nord de la Slovaquie et le sud de la Pologne, dans les Carpates, « les trains ne circulent que le week-end en été, alors qu’il existe un potentiel toute l’année », affirme le voyageur. Dans les Alpes, entre Modane (France) et Bardonecchia (Italie), « des TGV passent le tunnel du Fréjus plusieurs fois par jour, mais les trains régionaux s’arrêtent de chaque côté de la frontière », constate-t-il. Les trains italiens pourraient pousser jusqu’à Modane, et les français jusqu’à Bardonecchia, pour faciliter les passages transfrontaliers.
« Les
régulateurs du réseau ferroviaire ne s’intéressent qu’à leur
réseau national, car ils dépendent de l’Etat qui les emploie. Les
élus ne se préoccupent que de l’intérieur des frontières, car
c’est là qu’ils exercent leur pouvoir », commente le
consultant en ferroviaire Nico
Huurman, installé à Ljubljana, capitale de la
Slovénie.
Opération tarifaire outre-Rhin
Après ses observations, Jon Worth ne défend pas nécessairement la reconstruction des voies détruites ou démontées. Entre Colmar (France) et Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), par exemple, la prolongation des voies impliquerait la destruction d’un pont routier très fréquenté. Une telle opération aurait un coût budgétaire faramineux, sans parler des enjeux politiques. Fin août, lors d’une conférence organisée à Berlin, le spécialiste devait présenter un rapport destiné aux décideurs européens et au grand public. Il liste une série de lignes qu’il est possible de restaurer à moindre coût.
Alors
que les conséquences du réchauffement climatique se matérialisent
plus que jamais sous nos yeux, le train gagne ses galons de transport
durable. En Allemagne, le gouvernement du social-démocrate
Olaf Scholz a proposé pour juin, juillet et août 2022
l’accès aux trains régionaux et aux transports publics urbains au
tarif unique de 9 euros par mois. L’abonnement, vendu à plusieurs
dizaines de millions d’exemplaires, a suscité d’abondants
commentaires dans toute l’Europe. Le prix très réduit a relancé
le débat sur la gratuité des transports, porté, en France, par les
élus de quelques agglomérations comme Dunkerque ou Montpellier.
Mais toute aubaine a ses revers. Les trains régionaux allemands, tout l’été, ont subi une surfréquentation inédite, au point que les habitués peinaient à trouver une place assise. Le chaos a touché en particulier les régions touristiques ou les couronnes des grandes métropoles, autour de Berlin, Cologne ou Munich. En outre, les trains surchargés subissent des retards : à chaque gare, la descente et la montée des voyageurs demande davantage de temps. Ainsi, l’abonnement à 9 euros a mis en lumière les défaillances du système ferroviaire, déjà lourdement sollicité en temps normal. « Les régions allemandes proposent des trains courts, d’une capacité limitée », observe Jon Worth. L’opération a cependant le mérite, selon lui, de faire découvrir le chemin de fer et les transports urbains à des personnes qui n’avaient jamais songé à les utiliser.