Le XXIe siècle, ère du « consommateur activiste » ?
La prise de conscience des enjeux écologiques renforce des comportements déjà naissants chez les consommateurs. Déconsommation, préférence pour des produits réparables, mais aussi... actions militantes pour se faire entendre : une petite révolution s'annonce.
La nouveauté, c’est l’émergence du « consommateur activiste », un personnage à multiples facettes. Le 28 janvier, à Paris, lors d’une conférence de presse, Flavien Neuville, responsable de l’Observatoire Cetelem sur la consommation, a présenté la 35e édition de son étude annuelle, intitulée “Le temps du consommateur activiste”. Réalisée par Harris Interactive dans 15 pays, auprès de 14 200 personnes, fin 2019, elle met en lumière l’émergence d’un nouveau type de consommateur, et dresse le cadre européen dans lequel il s’inscrit.
Tout d’abord, en 2019, le moral des Européens demeure stable, « à un niveau élevé », constate Flavien Neuville. Les Européens attribuent à l’état de leur pays une note de 5,4 sur 10, – les Français, de 5,3 -, en augmentation par rapport à l’année précédente. La même stabilité se vérifie dans la manière dont les Européens considèrent leur situation personnelle, avec une note moyenne de 6 sur 10. Les Français se situent légèrement au-dessus avec 6,1, les plus positifs étant les Suédois (6,5). Pour autant, cet état d’esprit n’incite pas à faire des folies : la proportion d’Européens qui ont l’intention d’augmenter leur épargne croît. Elle passe de 49% en 2019 à 51% en 2020. À contrario, le pourcentage d’Européens qui déclare vouloir dépenser plus recule légèrement, passant de 41% à 40% des sondés. Par pays, le record des intentions d’épargne est remporté par la Roumanie (69%) et celui des intentions d’achats, par la Slovaquie (76% ). Les Français, eux, sont seulement 35% à vouloir épargner plus, mais la proportion a fortement augmenté : ils n’étaient que 29% l’année précédente. Et la part de ceux qui veulent dépenser plus reste stable, à 35%. Ces intentions s’inscrivent dans un panorama assez éclaté de la vision qu’ont les Européens de l’évolution de leur pouvoir d’achat : 44% d’entre eux estiment qu’il est resté stable, 24% qu’il a augmenté, et 32%, qu’il a baissé. Avec 48% des sondés dans ce cas, « les Français sont ceux qui ont la plus mauvaise perception de leur pouvoir d’achat », pointe Flavien Neuville.
L’angoissante matrice du « consommateur activiste »
Fait notable, l’étude note que 22% des Européens (et une même proportion de Français) n’ont pas envie de dépenser alors qu’ils en ont les moyens. « Cette idée de consommer à outrance qui a fait les Trente Glorieuses, est passée de mode », note Flavien Neuville. Certes, le constat doit être nuancé : il se vérifie davantage dans les ménages déjà bien équipés et les pays parvenus à un niveau de développement élevé. Toutefois, cette tendance nouvelle à la sobriété est loin d’être anodine. Elle s’inscrit dans une évolution plus large des mentalités. Celle-ci, déjà concrétisée par de nouveaux modes de consommation initiés, comme le ré-emploi, se teinte aujourd’hui d’inquiétudes croissantes au sujet de l’environnement : 60% des sondés estiment que nous avons atteint un « point de non-retour » et que la Terre va vivre un « scénario catastrophe ». Pourtant, les trois-quarts d’entre eux jugent que les habitudes de consommation ne changeront pas et que la Terre continuera d’être pillée de ses ressources. Étrangement, dans ce même sondage, 55% des interrogés déclarent « avoir confiance dans l’humanité » pour trouver des « mesures efficaces pour sauver la planète ». « On voit que les Européens ont du mal à y voir clair sur certains sujets », analyse l’expert.
Ce qui semble acquis, en revanche, c’est un certain rejet de la société de consommation actuelle : 48% des sondés la qualifient de « matérialiste », 38% de « superficielle », 29% de « manipulatrice » et « individualiste ». À l’inverse, ils sont moins de 10% à la décrire comme « généreuse », « heureuse », « tolérante » ou «honnête.» Autre tendance marquante, « le consommateur porte un jugement sur lui-même », explique Flavien Neuville. Par exemple, plus de la moitié des consommateurs déclarent avoir mauvaise conscience lorsqu’ils achètent des produits emballés dans du plastique, et 41%, s’ils ne trient pas leurs déchets. Prendre l’avion pose un cas de conscience à 21% des sondés, et acheter sur Internet, à 30% d’entre eux.
Sobriété et actions illégales au menu
Cette mentalité pèse déjà lourd sur les habitudes de consommation. Ainsi, 42% des Européens affirment avoir le sentiment de moins consommer. Les Français sont 44% dans ce cas. « Fait nouveau, nous sommes peut être rentrés dans un début de déconsommation, dans certains secteurs d’activité », note Flavien Neuville. Les consommateurs donnent des raisons diverses à la sobriété de leur comportement. Dans 16% des cas, elles sont liées à une préoccupation environnementale ou sociale, dans 23% à une contrainte économique, dans 31%, à une décrue des besoins, et dans 30% des cas, à un équipement jugé suffisant. Exemple de secteur concerné par la déconsommation, le textile neuf : ses ventes sont en forte baisse alors que la vente d’occasion monte en puissance. Au point que les distributeurs, dont le modèle économique est remis en cause, réfléchissent au moyen de capter le marché de la seconde main.
La réflexion s’avère d’autant plus indispensable que 31% des Européens, (et 32% des Français) déclarent qu’à l’avenir, ils veulent consommer beaucoup moins. Dans le même sens, ils sont également plus de huit sur 10 à se déclarer prêts à jeter moins et réparer, à privilégier des appareils électroménagers qui durent plus longtemps, quitte à disposer de modèles moins innovants, ou encore à privilégier les achats de produits locaux, de saison.
Mais le « consommateur activiste » risque de ne pas s’arrêter là. « L’enjeu est collectif, donc le consommateur porte forcément aussi un regard sur les autres consommateurs, et hésite de moins en moins à s’exprimer sur ce sujet. (…) L’angoisse par rapport à l’avenir de la planète renforce la volonté d’activisme. On peut passer à des modes d’action nouveaux, parfois à la limite de la légalité », relève Flavien Neuville. 35% des consommateurs estiment, en effet, qu’il leur revient de faire « bouger les choses ». Et une proportion similaire juge qu’une occupation illégale constitue un moyen acceptable pour ce faire.