L’économie de confinement s’installe dans la durée
Après un rebond rapide au printemps et pendant l’été, l’économie souffre de la deuxième vague épidémique et des mesures prises pour l’endiguer, analyse l’Insee. La chute est moins sévère qu’en mars, mais intervient dans une conjoncture fragile.
En matière de statistiques économiques, le quatrième trimestre de 2019 est devenu une référence, un étalon, auquel ont été comparés tous les chiffres de 2020. Toutefois, « on ne peut plus parler de situation normale, il faut désormais dire avant-crise », précise Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee. Le bouleversement économique consécutif à la crise sanitaire n’est plus un coup de tonnerre dans un ciel (plus ou moins) bleu, comme les statisticiens l’imaginaient encore au début de l’automne. Il s’agit désormais d’une tempête soufflant en tous sens, et dont nul ne peut prédire l’évolution. « Désormais, les événements économiques et sanitaires ont partie liée, au moins jusqu’à la mi-2021 », constate le conjoncturiste.
La deuxième vague épidémique, les couvre-feux locaux, puis le deuxième confinement, ont conduit les statisticiens à adapter, de nouveau, leurs prévisions. Le 17 novembre, jour de la publication de la note de conjoncture, l’Insee avançait trois scénarios assez différents pour l’année 2020 : une récession de 8% en cas de confinement jusqu’au 15 décembre, de seulement 4% si un déconfinement intervenait le 1er décembre, et de 13% si la période se prolongeait jusqu’à la fin de l’année. On a connu des perspectives plus précises. Ces variations s’expliquent par l’incapacité d’anticiper les mesures officielles, mais aussi par le poids particulier, dans la consommation, du mois de décembre. Celui-ci concentre, par exemple, 14% des ventes des cavistes, 23% du chiffre d’affaires des boulangeries et 28% des achats de jouets.
Dans ce brouillard épais, les conjoncturistes parviennent tout de même à dessiner quelques traits. Ainsi, il apparaît clairement que la deuxième « assignation à résidence » se révèle moins douloureuse pour l’économie que la première. Pour parvenir à cette conclusion, l’Insee a fait appel à des indicateurs qui, jusqu’alors, ne figuraient pas dans sa boîte à outils : la recherche d’itinéraires en transports publics d’après Apple, la fréquentation des commerces de proximité et l’étude des mots-clefs (restaurant, train, hôtel, etc.) selon Google, les ventes de la grande distribution détaillées par les cartes bancaires ou la consommation d’électricité relevée par RTE, le gestionnaire du réseau.
On ne sait pas s’il faut s’en réjouir ou s’en inquiéter, mais les transactions quotidiennes par carte bancaire montrent que les consommateurs ont désormais l’habitude des mesures sanitaires. La perspective du premier confinement avait entraîné, à la mi-mars, des comportements irrationnels de stockage, aussi bien de produits alimentaires que de carburant, que l’on n’a pas retrouvés fin octobre. À l’inverse, à l’approche du deuxième confinement, les ventes de biens d’équipement du foyer ont connu une forte hausse, signe que les ménages ont voulu se préparer à cette période. Julien Pouget y voit « une certaine expérience acquise au cours du premier confinement » et résume la situation ainsi : « La sidération a laissé, tant bien que mal, la place à l’adaptation ».
Une économie déjà fragile
Les données témoignent tout de même d’une nette chute de l’activité fin octobre, au début du deuxième confinement. Globalement, la baisse de l’activité atteindrait, pour novembre, 13%, contre 30% en mars. L’ouverture des écoles, le maintien de nombreuses occupations, mais aussi la latitude des contrôles, expliquent cette résistance relative.
Contrairement au printemps, la plupart des secteurs économiques devraient maintenir un niveau d’activité relativement convenable. La construction, les transports, les biens d’équipement, l’industrie ou le commerce s’en sortent bien mieux que lors du premier confinement, estiment les conjoncturistes. L’agriculture, les services immobiliers et l’information, qui tenaient déjà leur rang au printemps, conservent leurs positions. En revanche, deux secteurs connaissent peu ou prou le même marasme qu’au début de l’année, l’hébergement-restauration (-60%) et les services aux ménages (-42%), qui incluent les lieux culturels, les transports de loisir et les déplacements professionnels.
À quoi ressemblera la reprise de l’activité une fois la deuxième vague passée ?
L’Insee se montre prudent. Au printemps, notent les conjoncturistes, le rebond avait été rapide, dès le mois de mai, et massif, « favorisé par une politique économique visant, via l’augmentation de la dette publique, à préserver autant que faire se peut le tissu productif et les revenus des ménages ». Les spécialistes insistent sur le rôle qu’a joué le dispositif de travail partiel, plébiscité par les employeurs. Le rebond ne sera pas forcément aussi vigoureux cet hiver. Le confinement automnal « a touché une économie diminuée, fragilisée », observe le chef de la conjoncture.
Par rapport à ses principaux partenaires économiques, la France se place dans la moyenne, ce que n’a pas manqué de souligner le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Selon l’Insee, l’économie française s’est comportée, jusqu’au troisième trimestre inclus, à peu près comme celles de l’Italie et de l’Allemagne. Les États-Unis s’en sont mieux sortis, tandis que l’Espagne, « en raison du poids du tourisme », et le Royaume-Uni, « où le confinement a été plus tardif », sans oublier « les résurgences des incertitudes liées au Brexit », ont davantage souffert, précise Julien Pouget.