Les artisans du bâtiment inquiets après une année de croissance
Fatigue, grogne : d’après la Capeb, après une année 2022 d’activité soutenue, les artisans, qui s’attendent à un fort ralentissement pour l’année à venir, subissent lourdement les errements des politiques publiques.
Les artisans du bâtiment seraient-ils arrivés au bout de leur faculté de « résilience » ? La semaine dernière, à Paris, lors d’une conférence de presse, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) présentait l’évolution du secteur en 2022 et dessinait ses perspectives pour 2023.
En 2022, « la croissance a duré toute l’année, mais elle s’est émoussée au fur et à mesure des trimestres », explique Alain Chouguiat, directeur du pôle économique de la Capeb. Sur l’année, l’activité a crû de 2,4% en volume, un haut niveau selon les standards de la profession. La performance succède à des hors normes avec le choc de l’épidémie du Covid qui a été suivi d’une forte reprise. Mais si en 2022 le niveau est haut, la tendance est inquiétante : la croissance n’a cessé de diminuer au cours de l’année, pour terminer avec + 1 % au quatrième trimestre. Par type d’activité, la construction neuve, affectée par le recul des mises en chantier, a connu une croissance annuelle de + 1,9%, tandis que l’entretien rénovation affichait +2,5%. Toutefois, ces deux segments ont connu un même essoufflement de leur dynamique, au fil de l’année.
En 2022, « la hausse des prix des matériaux et les problèmes d’approvisionnement sont les deux difficultés majeures que les entreprises ont affrontées », pointe Romane Charpentier, chargée de mission au pôle Économique de la Capeb. D’après une étude Capeb/ Xerfi, le niveau des prix des matériaux a augmenté de 27 % entre janvier 2022 et janvier 2023. Et si 92 % des entreprises ont répercuté cette hausse sur leurs devis, elles ne l’ont pas fait en totalité. « Elles ont absorbé une partie du choc ce qui génère des tensions sur la trésorerie, d’autant qu’en moyenne, les matériaux représentent 30 % des dépenses courantes », souligne Romane Charpentier.
Les entreprises sont également de plus en plus nombreuses à se déclarer impactées par les problèmes d’approvisionnement : c’est le cas de 78% d’entre elles au troisième trimestre 2022, contre 26% un an plus tôt. Par ailleurs, les difficultés se sont accumulées : au second semestre, aux problèmes d’inflation et d’approvisionnement se sont ajoutées la hausse des prix des carburants et celle de l’énergie, citées par la moitié des sociétés.
La demande est fragile
Conséquence de ces évolutions, le pessimisme des entreprises quant à l’évolution de leur niveau d’activité croît légèrement, montre l’étude Xerfi : au quatrième trimestre 2022, un quart d’entre elles anticipent une baisse de leur activité ce premier semestre, soit 11 points de plus qu’au troisième trimestre 2022. Toutefois, une très large majorité d’entre elles continuent de considérer que leur activité va rester stable. Globalement, la Capeb estime que l’activité du premier semestre 2023, portée par la dynamique existante, va croître de 0,5%. En revanche, le second semestre devrait être marqué par une baisse d’autant, cette dernière évaluation de -0,5% devant être revue en fonction des perturbations potentielles difficilement prévisibles que pourrait connaître l’économie.
Plusieurs indicateurs sectoriels vont dans le sens du ralentissement prévu par la Capeb. Par exemple, en 2022, les embauches se sont maintenues en dépit des difficultés : après un pic au second semestre 2021 où une entreprise sur trois a voulu recruter, au second semestre 2022, cela a été le cas de 26 % d’entre elles. La moitié y sont parvenues. Mais pour 2023, les entreprises ne sont plus que 13% à envisager d’accroître leurs effectifs ! Pour l’essentiel, elles prévoient de garder l’emploi à son niveau actuel. Par ailleurs, si les tensions sur les prix des matières premières semblent s’atténuer - sans disparaître -, l’inflation généralisée qui touche les particuliers et la monté des taux d’intérêt constituent une menace pour l’activité dans les segments du neuf et de la rénovation.
« Les carnets de commande conservent un bon niveau au quatrième trimestre 2022, ce qui assurera un minimum d’activité début 2023, mais on note déjà un petit ralentissement, prémisse d’une contraction de la demande qui découle des contraintes budgétaires des ménages », détaille Alain Chouguiat. L’inflation pourrait inciter le consommateur à arbitrer pour une épargne de précaution au détriment de travaux. De plus, la baisse du pouvoir d’achat immobilier des Français devrait pousser certains à se rabattre sur la location. Or, les particuliers qui réalisent des travaux sont essentiellement des propriétaires.
Des griefs nombreux
« Si l’activité s’arrête, il est très difficile de la relancer », met en garde Jean-Christophe Repon, président de la Capeb. Pour lui, « la capacité d’adaptation permanente des artisans a permis de passer la crise, mais aujourd’hui, cela ne suffit plus. (…). L’inquiétude et la grogne montent fortement dans les entreprises ». Pour la Capeb, à l’impact économique de la flambée des prix de l’énergie, s’ajoutent de nombreuses difficultés liées à la politique du gouvernement ou au fonctionnement des administrations : complexité d’accès aux aides, contraintes insupportables liées à la mise en place de ZFE (Zones à faible émission), ou de la REP, filière à responsabilité élargie des producteurs du bâtiment. Concernant cette dernière, le risque d’une politique qui ne tient pas compte des réalités est de voir surgir des déchetteries sauvages, prévient la Capeb.
Mais nombre de griefs de la Confédération concernent le marché le plus porteur du secteur, celui des travaux d’amélioration de performance énergétique du logement. En 2022, il a connu une croissance qui a dépassé celle du marché global (+ 3,8%). Toutefois, lui aussi a subi la même tendance à l’étiolement, passant de + 4,5% au quatrième trimestre 2021 à +2,5% un an plus tard. Lourdeur des dispositifs publics et simplifications promises restées lettre morte découragent les artisans, estime la Capeb.
Concernant le dispositif Ma Prime Renov, au lieu d’une simplification, « nous avons connu une augmentation des délais de paiement », pointe Jean-Christophe Repon. Quant à la lutte contre la fraude des éco-délinquants, elle ferait diminuer le nombre d’entreprises RGE (Reconnu garant de l’environnement). Autre déconvenue, les retards pris dans le dispositif d’accompagnement des professionnels du bâtiment prévu dans le cadre du programme Oscar, destiné à les former sur les épineux sujets de l’accès aux aides. A contrario, la Capeb se réjouit d’avoir été écoutée par le gouvernement sur certains sujets, parmi lesquels la mise en place d’un Observatoire des prix des matériaux. Même si son démarrage se fait attendre.