Les PME « au bord du gouffre », d’après la CPME
Touchées par la flambée des prix de l’énergie, les PME sont dans l’impasse, alerte la CPME. Elle préconise de faire évoluer les mesures de soutien prises par le gouvernement, jugées inefficaces. En attendant, de nombreux entrepreneurs vivent un cauchemar : l’échéance de leurs contrats, en décembre prochain.
« Le risque est systémique », alerte François Asselin, président de la CPME, Confédération des petites et moyennes entreprises. Celle-ci tenait une conférence de presse consacrée à « Flambée des prix de l'énergie : des PME au bord du gouffre ? », le 20 octobre, à Paris. Plusieurs entrepreneurs y ont témoigné des difficultés qu’ils rencontrent. Mais le président de la CPME a d’abord dressé un tableau général des inquiétudes des entreprises. D’après les décomptes du syndicat patronal, quelque 150 000 sociétés seraient aujourd’hui dans une impasse économique à cause de la flambée des prix. Et globalement, le climat actuel est « très anxiogène. Nous avançons dans le brouillard », a précisé François Asselin. « Nous travaillons quotidiennement avec Bercy. (…) Aujourd’hui, nous sentons que le gouvernement a pris la mesure de ce qui se passe, mais ce qui se déroule au niveau européen est loin d’être neutre », a ajouté François Asselin. Le plan allemand, qui prévoit 200 milliards d’euros de soutien à l’économie, inquiète fortement la CPME qui redoute un décrochage entre les deux économies.
Mais avant tout, l’inquiétude naît des incertitudes sur l’issue des négociations au niveau européen, en matière de politique énergétique. Au moment de la conférence de presse de la CPME, le Conseil Européen était en effet réuni sur le sujet. « Les signaux ne sont pas très positifs », estime François Asselin. Pendant ce temps, en cas d’échec européen, la CPME explique travailler avec Bercy à un « plan B ». Depuis mars dernier, le gouvernement a progressivement mis sur pied des mesures de soutien aux entreprises – bouclier tarifaire pour les petites entreprises et aide « gaz et électricité », dans le cadre du plan de résilience. Mais ces dernières sont inefficaces, d’après la CPME. « Les curseurs adoptés pour accéder aux dispositifs ne correspondaient pas à la réalité des entreprises », pointe François Asselin.
Pas d’embauches, ni d’investissements
C’est ce qu’illustre l’exemple de Mecanhydro, société de maintenance hydraulique de six salariés, au chiffre d’affaires de près d’un million d’euros, basée à Chambéry. « Ma TPE ne peut bénéficier ni de l’aide d’urgence, ni du bouclier tarifaire », témoigne Marie-Emmanuelle Contesse, sa dirigeante. Pour le bouclier tarifaire, par exemple, l’entreprise correspond aux critères de nombre de salariés et de chiffre d’affaires, mais l’importance de sa consommation d’électricité l’exclut du dispositif. « Notre contrat est supérieur à 36 kVA, exclus du tarif réglementé. Nous sommes en offre marché », précise la cheffe d’entreprise.
À tous égards, les conséquences sont importantes. Déjà, en deux ans, la facture d’électricité de Mecanhydro a augmenté de 18 %. En 2020, l’entreprise dépensait 6 441 euros pour ce poste et 7 571 euros, en 2022. Pour 2023, elle a reçu les propositions tarifaires de deux énergéticiens. La première, qui prévoit un engagement sur trois ans, représente 18 608 euros par an et la seconde, sur deux ans, 26 291 euros annuels. Des charges qui vont grever lourdement le résultat de l’entreprise : -11 % dans le premier cas, -20 % dans le second. « Les conséquences ? Un développement compliqué, des investissements irréalisables, et les embauches… on ne sait pas. Nous avons aussi peur d’être déficitaire et de ne plus pouvoir accéder à l’emprunt », explique Marie-Emmanuelle Contesse. Elle doit aussi faire face au remboursement du PGE ( 50 000 euros par an) et aux augmentations de salaires (5% en octobre 2021 et des primes Macron). « En 2022, nous n’avons pas encore répercuté les hausses des prix, nous grappillons sur nos marges. Demain, cela ne sera pas possible », alerte la dirigeante.
« Bidouilleries » et renforcement des aides
D’ici la fin de l’année, Marie-Emmanuelle Contesse va devoir réaliser un choix entre ces propositions tarifaires. C’est aussi le cas de très nombreuses autres entreprises : pour la plupart, leurs contrats d’électricité arrivent à échéance en décembre prochain. Et en la matière, les témoignages sont unanimes : les contrats sont « incompréhensibles », estime par exemple, Jean-Dominique Regazzoni, à la tête de deux PME du textile, Emo et Sotratex, qui emploient 110 salariés, à Troyes. La succession des propositions reçues par le chef d’entreprise donne le tournis.
En mai, une première proposition s’élevait à 238 045 euros pour un contrat de deux ans. Moins de six mois plus tard, ce même contrat était proposé pour… 415 127 euros ! « Tant qu’il fait 18 degrés à Paris, on y gagne sur les tarifs. Mais le courtier m’a prévenu : en décembre, les prix vont exploser car de très nombreux contrats s’achèvent à cette échéance. J’ai découvert plein de choses », ironise Laurent Pillard, dirigeant de l’organisme de formation Léna conseil (10 salariés) et de l’imprimerie Agence 46 (deux salariés ), dans le Val-d’Oise. Pour s’en sortir, il envisage des « bidouilleries » : faire installer deux compteurs dans le bâtiment de 800 m² qui abrite ses deux structures et souscrire à deux contrats qui lui permettent de bénéficier des tarifs réglementés…
Face aux difficultés rencontrées par ses adhérents, la CPME demande plus de clarté dans les factures d’énergie et attend la nomination du « négociateur » promis par Bercy, sur le sujet. Elle propose également un élargissement des dispositifs d’aide publique. Les TPE de moins de 10 salariés et au chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros devraient pouvoir bénéficier du tarif régulé, quelle que soit leur consommation d'énergie. Concernant les aides, la Confédération préconise de faire évoluer les critères d’obtention : toutes les entreprises pour qui la facture d'énergie représente 3 % du chiffre d'affaires et a doublé sur une période donnée en 2022 devraient être éligibles. Et les critères concernant l'excédent brut d'exploitation devraient être abandonnés. Réponse attendue de Bercy : début novembre.