Les PME et ETI ne s’adaptent pas assez vite au changement climatique
Les efforts -réels- des ETI et PME en matière de transition écologique sont très insuffisants d’après une étude Bpifrance Le Lab, la cellule de recherche de la banque publique d’investissement. Pour le climat, et aussi pour le business.
Trier ses déchets, c’est bien, l’éco-conception, ce serait nettement mieux… Combien les dirigeants des PME-ETI françaises sont-ils sensibilisés à la cause de l’urgence climatique et quels types de mesures mettent-ils en place dans leurs entreprises ? La troisième étude Climat de Bpifrance Le Lab, la cellule de recherche de la banque publique d’investissement, a été publiée. Elle enregistre un net changement, par rapport à 2020 : le « passage à l’action » des dirigeants. Il y a trois ans, en effet, Bpifrance Le Lab observait « une dissonance entre une conscience citoyenne forte des dirigeants, et un niveau d’actions assez faible. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », résume le communiqué. « La guerre en Ukraine et ses conséquences sur les coûts de l’énergie ont servi de levier pour souligner l’importance du sujet climatique au sein des PME. En reliant de plus en plus la consommation énergétique à la rentabilité de l’entreprise, les dirigeants commencent à accorder une importance stratégique à ces enjeux », analyse Lionel Canesi, président du syndicat ECF Experts-comptables, cité dans l’étude. Ainsi, le nombre de dirigeants qui affirment suivre les sujets climatiques au sein de leur société, via un service dédié ou une personne ayant aussi d’autres responsabilités a plus que doublé, passant de 31% en 2020 à 67% en 2023.
Autre signe de changement, 72% des dirigeants déclarent avoir réduit leurs émissions carbone au cours des cinq dernières années, contre 46% en 2020. Le nombre de ceux qui ont réalisé une évaluation de ces émissions a également augmenté, passant de 16 à 35%. Dans le même sens, ils sont plus de huit dirigeants sur 10 à intégrer l’enjeu climat dans leur stratégie d’entreprise (vs 50% en 2020). Et la manière dont les dirigeants déclarent se projeter pour les cinq ans à venir est également encourageante : 88% d’entre eux estiment pouvoir réduire leur empreinte carbone (contre 73% en 2020). Pour y parvenir, ils prévoient des actions structurantes, comme l’écoconception (pour 43% des dirigeants) et la sélection de fournisseurs (40%). Mais le premier moyen cité est l’achat d’équipements plus performants énergétiquement (60%).
Des « petits pas » beaucoup trop courts
Ces efforts, réels, restent très nettement insuffisants, d’après l’étude. Et ce, qu’il s’agisse d’infléchir la trajectoire des émissions carbone ou de tirer bénéfice d’opportunités de marché liées à ces changements. « Il est urgent pour les chefs d’entreprise d’agir vite pour une transition qui ne se fait pas en un jour, tant elle implique une transformation profonde du business model, un degré d’innovation élevé, et des compétences multiples », préconise l’étude. Sur ce sujet, elle enregistre un niveau d’ambition très varié chez les dirigeants de PME et ETI. La part de ceux convaincus de pouvoir réduire leur empreinte carbone de manière importante a plus que doublé en trois ans, passant de 13 à 29%. Toutefois, la majorité des chefs d’entreprises (59 %) pensent la restreindre seulement « un peu » dans les cinq ans à venir. C’est quasiment autant qu’en 2020.
Par ailleurs, ces dirigeants sont-ils réellement conscients de la complexité du sujet ? 63% ne se sentent pas inquiets sur leur capacité à piloter la décarbonation de leur entreprise, une transition pourtant complexe. Le chiffre interpelle, lorsque le pourcentage de ceux affirmant avoir déjà diminué leurs émissions carbone est très largement supérieur à celui des entrepreneurs qui ont réalisé une évaluation en la matière... Concrètement, « les actions menées par les PME-ETI sont insuffisantes pour amorcer une véritable inflexion de la courbe des émissions carbone », pointe l’étude. C’est le type d’actions choisies qui est en cause : l’extinction automatique de la lumière vient en tête (77%), suivi du tri des déchets (68%), de l’achat d’équipements plus performants énergétiquement (63%) et la réduction de l’usage du papier et du plastique (58%). Pour Bpifrance Le Lab, il s’agit là de « petits pas », et d’« actions peu coûteuses et rapides à mettre en œuvre ». « Jamais les dirigeants ne mettent en avant la nécessaire refonte de leur stratégie ou la modification de leur business model », notent les analystes. Les mesures plus ambitieuses, comme l’éco-conception ou la sélection de fournisseurs d’après des critères environnementaux, arrivent très loin derrière en termes de moyens mis en œuvre (respectivement, 30% et 21%) .
À la recherche du modèle économique
Pour l’étude, les dirigeants des ETI et PME qui souhaitent faire évoluer radicalement leur entreprise se heurtent à d’importants obstacles de différente nature. « Le premier d’entre eux est la difficile résolution de l’équation économique : au cœur de l’équation, qui finance ? », estiment les chercheurs. Les trois quarts des dirigeants pointent le fait que les clients ne sont pas prêts à payer plus cher pour des produits verts, et une proportion similaire ne parvient pas à déceler son retour sur investissement. En fait, la perspective qu’ identifient ces entrepreneurs est surtout celle d’une perte de compétitivité à court terme par rapport à leurs concurrents qui ne prendraient pas cette voie!
Autre type de freins pointé par les entrepreneurs : ceux qui découlent de la gestion publique de ces enjeux, faits de normes contraignantes, assorties de lourdeurs administratives. Ainsi, 76% des répondants affirment être contraints par la lenteur ou la complexité des procédures. Ils ont par exemple du mal à trouver les bons interlocuteurs publics. Et les deux tiers regrettent aussi la multiplication de normes parfois contradictoires (par exemple, normes de sécurité versus normes climatiques). Résultat, en dépit des 30 Mds€ destinés au financement de la transition écologique dans le cadre du plan de France relance, 80% des dirigeants estiment que le soutien public à la décarbonation est encore trop faible.
En synthèse, ils ne se sentent pas correctement encouragés pour affronter un enjeu dont ils mesurent la gravité (pour la planète entière et pour leur entreprise ). Et ils ont la sensation de mettre cette dernière en danger lorsqu’ils bouleversent leur modèle d’affaires et décarbonent leur activité. Au total, « les conditions sine qua non d’un tel virage stratégique ne semblent pas toutes réunies », conclut l’étude. L’enjeu est pourtant de taille. Pour le climat, car les PME et ETI représentent 30 % de l’empreinte carbone de la France, d’après les estimations de Bpifrance Le Lab. Et pour les entreprises elles-mêmes, déjà contraintes par les hausses de prix de l’énergie et des matières premières, les pressions des donneurs d’ordre et des impératifs législatifs croissants en matière de RSE.