Libérer son entreprise
Agro-Sphères, association régionale créée en 2005 au service de la filière agroalimentaire, s’est réunie fin juin à Mégacité à Amiens pour présenter ses actions. Pour l’occasion, l’association avait réservé à ses invités une conférence d’Isaac Getz, professeur à l’ESCP Europe et auteur de plusieurs ouvrages, sur “L’entreprise libérée”. Emmanuel Daumy était également présent pour illustrer cette philosophie.
Nous essayons de coupler l’assemblée générale avec une autre manifestation. Isaac Getz parlera d’une thématique nouvelle, souligne le président d’AgroSphères, Philippe Hincelin, un mode de management beaucoup plus participatif et qui interpelle certaines sociétés. Cela nous a donné envie de présenter cette philosophie. » Pour illustrer ce modèle, Emmanuel Daumy, chef de la biscuiterie Dutoit, près de Saint-Quentin, (Aisne), était présent pour partager son expé- rience. Depuis deux ans, ce patron a mis en place le système de l’entreprise libérée.
Une entreprise libérée, c’est quoi ?
C’est une entreprise où les salariés sont libres et responsables d’entreprendre toutes les actions qu’ils estiment les meilleures pour la compagnie. Partant du principe que le salarié est le mieux placé pour gérer son travail, les contrôles, la surveillance et la hiérarchie qui l’encadrent ne sont plus nécessaires. Les dirigeants et les managers se mettent alors au service des salariés.
Selon Isaac Getz, le bonheur des salariés et la croissance positive d’une entreprise sont liés. « Vous n’imaginez pas ! Seulement 9% des salariés en France se sentent vraiment bien dans leur entreprise, tandis que 65% de Français viennent au travail de manière désengagée, c’est-à-dire sans motivation et avec le seul objectif de faire ce que leur chef leur a demandé, ce que l’on peut appeler de “bons professionnels”. Il reste une dernière catégorie, les activement désengagés : malheureux au travail, ils représentent 26%. »
Le bien-être au travail augmente donc la productivité, mais être une société libérée demande de la discipline avec soi-même dans la gestion de son comportement, des responsabilités et de l’ego. Comme l’explique Isaac Getz : « Aucun modèle n’existe vraiment, chaque entreprise doit trouver sa voie. Coconstruire avec ses salariés, c’est une philosophie qui se base sur la responsabilité et la liberté. » En effet, il assure qu’« un ouvrier heureux représente 5% de productivité en plus comparé à un ouvrier malheureux, qui sera 5% moins productif… »
Une PME libérée dans l’Aisne
Emmanuel Daumy, a repris la biscuiterie Dutoit avec sa femme en 2006. Depuis deux ans, son entreprise est libérée. « Nous avions un management traditionnel. Nous avions recruté du personnel pour cela, mais après six mois, nous avons eu une perte du chiffre d’affaires et des performances catastrophiques. Le type de management était : exécution, contrôle et aucune discussion. Nous étions dans des stéréotypes. » Suite à cela, le directeur décide de trouver une solution et de changer de type managérial. « Nous avons instauré un “35 minutes” sur un atelier pour parler des choses qui allaient ou pas. Cela a donné des résultats étonnants, tout le monde a commencé à s’exprimer, avec une démarche commune de résolution des problèmes. C’est concret. »
Un premier bilan positif
Aujourd’hui la société se porte mieux et chaque salarié mesure le résultat des actions engagées. Le chiffre d’affaires a « explosé » comme le raconte le dirigeant. « J’ai lu le livre d’Isaac Getz pour comprendre la démarche, car il faut apprendre à faire confiance : la libération, ce n’est pas si simple, on ne nous l’apprend pas dans les études », souligne Emmanuel Daumy. À partir de ce moment, ce patron et son équipe ont ébauché le nouvel esprit de la compagnie. « Nous avons présenté, début 2016, le nouveau management que nous allions mettre en place. Cela signifie un organigramme opérationnel qui divise l’organisation en sept pôles. Plus nous avançons et plus le pôle coach fera moins de travail, explique-t-il, la transformation d’une entreprise se base sur trois piliers : bien se connaître, partager les mêmes valeurs et avoir les mêmes objectifs sur le plan professionnel », affirme-t-il.
Le bilan est positif, la plus grande implication de chacun se traduit par une meilleure performance. « Nous avons noté une diminution de moitié de nos pertes et une amélioration de 7% de la productivité. Ces chiffres ne sont pas neutres, cela montre la valeur humaine de l’implication dans l’entreprise », affirme Emmanuel Daumy. Conclusion, plus l’homme est impliqué et responsable, meilleures sont ses performances. Ce patron le répète : « Il faut intéresser les salariés à l’entreprise, tout en intégrant les différences de chacun. »