Loi Sapin II : dispositif de recueil des alertes, un outil approprié aux PME
Si le dispositif anticorruption, « mesure phare » de la loi Sapin II ne s’applique pas aux PME (du moins pas encore), celles-ci n’en demeurent pas moins concernées par ce texte qui leur impose la mise en place « de procédures appropriées de recueil des signalements » révélés par un salarié ou un tiers
L’objectif de la loi Sapin II est, par le biais d’une procédure qu’il appartient aux entreprises de définir, de protéger ceux qui auront pris l’initiative de faire un signalement, mais aussi de conduire les entreprises à plus de transparence et à une meilleure gestion de ces situations. Procédures superflues, coûteuses et contraignantes ou véritables outils de protection des lanceurs d’alerte, de la société et de ses dirigeants ? Mais que prévoit la loi, et que disent les juges ?
Ce que dit la loi
L’article 8-III de la loi Sapin II oblige les entreprises et les établissements publics d’au moins 50 salariés, à mettre en place « des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels (…) ». Les signalements peuvent concerner la commission d’un crime, d’un délit ou d’une violation grave et manifeste commise à l’occasion de l’activité de l’entreprise. Les signalements potentiels sont donc multiples : il peut s’agir d’un signalement sur un risque chimique remonté par un sous-traitant (on pense à l’intérimaire d’Arcelor Mittal ayant alerté sur la pollution des sols), d’un signalement à raison de faits de harcèlement moral révélés par un salarié, de faits de favoritisme signalés par un tiers, etc.
Le périmètre de cette disposition est très large :
– Toutes les personnes morales publiques et privées d’au moins 50 salariés y sont assujetties, autrement dit de très nombreux acteurs sur le marché français.
– Tout signalement est concerné : au-delà des atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, favoritisme, etc.), le signalement peut tout autant concerner une alerte sanitaire, environnementale, sociale, etc.
– Tous les secteurs d’activité sont évidemment concernés : bâtiment, industrie, agroalimentaire, pharmaceutique, automobile, etc.
Le signalement peut non seulement émaner d’un salarié de l’entreprise, mais également de « collaborateurs extérieurs et occasionnels » de celle-ci. L’entreprise doit donc savoir gérer un signalement venant de l’extérieur. La loi ne définit pas ce qu’elle entend par « collaborateurs extérieurs et occasionnels », mais il peut (à notre sens) s’agir tout autant d’un intérimaire, d’un fournisseur, d’un prestataire ou d’un sous-traitant.
Ce dispositif est évidemment assorti de sanctions pénales :
– Le défaut de confidentialité dans la gestion d’un signalement (à savoir divulguer des éléments concernant l’identité des auteurs, les informations qu’ils livrent ou les personnes qu’ils visent) est puni de 30 000 euros d’amende et deux ans de d’emprisonnement.
– L’obstacle à la transmission d’un signalement de 15 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement.
Ainsi, si l’absence de procédures appropriées n’est pas en tant que telle sanctionnée à ce jour, la mauvaise gestion d’une alerte est en revanche lourdement punie. Sans compter les risques financiers, réputationnels et humains auxquels s’expose l’entreprise en cas d’alerte.
C’est pourquoi, la mise en place d’une procédure appropriée et efficiente de recueil et de gestion des signalements est impérative pour protéger la personne morale et ses dirigeants.
Ce que dit le juge
L’article 8 de la loi Sapin II n’a (à notre connaissance) donné lieu à aucune décision récente des juridictions françaises. Pour autant, cette vigilance imposée aux PME, cette écoute qu’elles doivent consacrer à leurs salariés ainsi qu’à tout collaborateur occasionnel, ces « procédures appropriées » qu’elles doivent déployer, sont autant d’obligations d’ores et déjà prises en compte par les juges pour appréhender les faits dont ils ont à connaître, quand bien même ces derniers seraient antérieurs à la loi Sapin II.
Ainsi, dans un arrêt récent (Cass. Soc., 27 novembre 2019, n°18-10551), la Cour de cassation a considéré qu’à défaut d’avoir mis en place une enquête interne suite à des faits de harcèlement moral signalés par une salariée à son employeur, ce dernier a manqué à son obligation de sécurité, peu important la réalité du harcèlement moral en question.
Cette décision récente se fait l’écho des nouvelles exigences posées par le législateur : la société doit se doter d’outils pour recueillir et gérer les signalements qui lui seraient remontés, peu importe in fine que les faits signalés soient avérés ou constitutifs d’une infraction ou d’un manquement à la législation en vigueur.
La mise en place de ces « procédures appropriées » participe en réalité à la bonne gouvernance et à l’auto-régulation aujourd’hui exigées des entreprises, PME comprises.
Aurore Ponsonnaille, avocat au barreau de Lille.