MIEUX PENSER LA MIXITÉ SOCIALE
Objectif réaffirmé dans le rapport Borloo sur les Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), la mixité sociale est en réalité complexe à mesurer et difficile à atteindre. Habitat et Humanisme, association qui lutte contre le mal logement, lance son Observatoire. Pour une réflexion plus fine sur un enjeu majeur.
C’est dans l’un des quartiers les plus coûteux de Paris – le prix du mètre carré y dépasse facilement les 12 000 euros -, qu’Habitat et Humanisme, association qui lutte pour l’insertion par le logement, a choisi de présenter son nouvel Observatoire de la mixité sociale (Omis), le 11 avril dernier. Tout un symbole. Avenue de Saxe, l’association gère une résidence sociale de 27 studios qui héberge des jeunes en insertion. L’intégration dans le quartier ? « Il n’y a pas eu de difficultés », commente Bernard Devert, président-fondateur de l’association, soulignant au contraire le geste d’un hôtel 4 étoiles voisin qui a proposé ses salons pour l’inauguration.
Au total, Habitat et Humanisme gère 7 515 logements, assurant un accompagnement des personnes hébergées et créant des dispositifs nouveaux, à l’image des résidences intergénérationnelles qui misent sur la complémentarité entre les générations.
« Après 30 ans de pratique de la mixité sociale sur le terrain, nous avons décidé de publier notre premier rapport pour participer au débat public », introduit Jérôme Porier, chef de projet de l’Observatoire, qui s’appuie sur l’expertise de scientifiques, sociologues ou urbanistes. Car la notion recouvre différentes réalités : alors que les sociétés anglo-saxonnes se basent sur les communautés, en France, la mixité sociale est avant tout « une valeur », explique Christine Lelévrier, sociologue, spécialiste de la rénovation urbaine et présidente du conseil scientifique de l’Observatoire. Par ailleurs, la mixité sociale, « n’est pas une notion scientifique, c’est plutôt un terme de l’action publique », rappelle Christine Lelévrier. Résultat, la mixité sociale elle-même n’est pas simple à mesurer. « Vivre côte à côte, est-ce vivre ensemble ? Ce n’est pas sûr », illustre Christine Lelévrier.
LOI SRU, UN BILAN MITIGÉ
Dans l’ensemble, toutefois, d’après l’évaluation de ces scientifiques, au terme de 30 ans de politique de la ville, « on ne peut pas dire que l’on a réduit les écarts entre les Quartiers politique de la ville et les autres. On constate plutôt une accentuation de ces écarts », note Christine Lelévrier. Autre constat porté par l’Observatoire, celui sur le bilan de la loi Solidarités et renouvellement urbain (SRU) de 2000, qui, notamment, impose aux communes un pourcentage de logements sociaux. Là aussi, « le bilan est plutôt mitigé », tranche Stéphanie Vermeersch, directrice de recherche au CNRS. Car si la loi a permis de poser le débat dans la société, « les mairies s’y mettent avec plus ou moins de bonne volonté », constate la chercheuse. Attention toutefois, dans ces dynamiques complexes, les freins à la mixité sociale ne tiennent pas seulement à de mauvaises volontés d’élus, mais peuvent également venir des populations elles-mêmes. À Nanterre, par exemple, certaines populations ont préféré profiter du réaménagement pour partir, plutôt que de saisir la possibilité d’accéder à la propriété. « Il faut composer avec les désirs résidentiels. L’idéal pour les populations, ce n’est pas forcément la mixité, mais de vivre là où elles ont envie de vivre », analyse Stéphanie Vermeersch. Par ailleurs, rappelle la chercheuse, « l’entre-soi en tant que tel n’est pas forcément mauvais. Il peut être source de solidarité, comme le montre l’exemple de communautés qui se retrouvent dans un pays étranger. Ce qui est né- faste, c’est l’entre soi quand il est subi, paupérisé ». Autre constat, les politiques publiques qui visent la mixité sociale s’adressent prioritairement aux classes moyennes. « On demande beaucoup aux classes moyennes en terme de cohésion sociale. Or, plus elles sont fragiles, moins elles veulent côtoyer la pauvreté », note la chercheuse.