Consommation
Notre assiette, un casse-tête « durable »
Comment respecter à la fois la planète, les producteurs, tout en nourrissant de manière équilibrée tous les citoyens ? Les politiques publiques s'efforcent de prendre en compte l'ensemble de ces paramètres. La France expérimente un dispositif d'affichage sur l'impact environnemental des produits alimentaires.
«Tous les scénarios concernant l'alimentation associent santé de l'individu et environnement », prévient Pierre Combris, président du FFAS (Fonds français pour l'alimentation et la santé), organisme public de veille qui a organisé une web conférence consacrée à "Alimentation et environnement". L'enjeu ? « Il n'est pas simple d'associer qualité nutritionnelle des aliments et impact environnement faible, surtout si la contrainte financière est forte », résume Pierre Combris. La définition d' « alimentation durable », donnée en 2010 par la FAO, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (ONU), donne la mesure de la complexité du sujet : elle cumule faible conséquence sur l'environnement, sécurité alimentaire et nutritionnelle, vie saine pour les générations présentes et futures, équité économique, accessibilité... Une définition « très ambitieuse », commente Nicole Darmon, directrice de recherche à l’INRAE, (Institut national de la recherche agronomique).
Un petit panorama de la manière dont se nourrissent les Français et l'étude des interactions entre cette multitude de paramètres pour un même aliment, donne une idée du chemin à parcourir. En France, le coût moyen journalier de l'alimentation des adultes est estimé à 8 euros. Mais « il existe des inégalités d'accès à l'alimentation », souligne Nicole Darmon. Or, « la contrainte budgétaire explique en partie des choix alimentaires qui sont en moyenne défavorables du point de vue nutritionnel », explique la chercheuse. Du point de vue environnemental, l'impact carbone de l'alimentation des adultes en France s'élève à 4 kg équivalent CO2 par jour. Mais là aussi, la moyenne masque des différences. Et des études récentes ont réservé des surprises : « Nous pensions que qualité nutritionnelle et faible impact environnemental étaient liés. Or, c'est l'inverse », pointe Nicole Darmon. Par exemple, à poids égal, la densité énergique d'une nourriture industrialisée (chips, gâteaux...) est supérieure à celle d'un panier de diète méditerranéenne (fruits, légumes, pâtes..). Toutefois, ce type de comparatif demeure très théorique par rapport aux pratiques alimentaires constatées, et donc, peu significatif, d'après la chercheuse. Les études ont d'ailleurs montré qu'en France, un adulte sur cinq a déjà adopté une alimentation « plus durable, plus équilibrée, et avec un impact environnemental plus faible de 20% en moyenne.(…). Il s'agit d'une alimentation diversifiée, frugale, flexitarienne, et en moyenne, moins chère », poursuit Nicole Darmon. Concrètement, ces pionniers de l'alimentation durable mangent de toutes les catégories d'aliments, mais s'écartent des pratiques les plus généralisées : ils optent pour moins de viande et plus de fruits, légumes et céréales complètes. Or, globalement, ces derniers, outre un apport nutritionnel important, sont aussi ceux qui présentent l'impact environnemental le plus modéré.
Le panier « durable » hebdomadaire idéal devrait permettre d'éviter 40% d'émission de CO2, par rapport à nos pratiques actuelles. Les principaux changements pour y parvenir ? Passer de de 2,5 kg à 4 kg de fruits et légumes, de 700 à 250 grammes de viande et charcuterie, et remplacer la baguette par du pain complet... Pour Nicole Darmon, c'est possible. D 'ailleurs, une récente étude a montré une baisse de la consommation des produits carnés...
L'information, vecteur de changement ?
Toutefois, « les pratiques alimentaires sont lentes à changer. Le changement est difficile à mettre en œuvre » en matière d'alimentation, souligne Flore Nougarede, cheffe de projet expérimentation affichage environnemental sur les produits alimentaires à l'ADEME (Agence de la Transition écologique). Le contexte semble plutôt favorable : les consommateurs accordent de plus en plus d'importance à la question environnementale, même si d'autres facteurs ( prix, préférences) demeurent prioritaires dans leur acte d'achat. Et ils essaient de s'informer. Pour favoriser cette tendance, l'affichage pourrait s'avérer crucial. Or, « il existe des initiatives privées, des applications, qui se développent. Nous voulons éviter la prolifération de systèmes différents qui créent de la confusion », prévient Flore Nougarede. L'ADEME expérimente donc un affichage qui « vise à transmettre aux consommateurs des informations sur les caractéristiques environnementales des produits sur le marché ». Un chantier complexe, politiquement et techniquement.
Du point de vue méthodologique, le champ des possible s'avère très large : l'impact environnemental peut être défini à l'échelle d'un plat, d'un caddie, d'un produit... Par ailleurs, il peut être évalué en utilisant différentes méthodes. La plus courante : l'ACV (analyse du cycle de vie), prend en compte plusieurs critères comme le changement climatique, les impacts sur le sol, la consommation des ressources... L'avantage ? Il s'agit d'une « méthode reconnue à l'échelle internationale », applicable à tous les secteurs, explique Flore Nougarede. Mais l'ACV est loin d'être parfaite : certains enjeux, estime la chercheuse, ne sont pas, ou insuffisamment pris en compte, comme la biodiversité. Une solution d'affichage pourrait alors consister à coupler l'ACV à d'autres paramètres plus précis. Mais la question ne s'arrête pas là : « quelle pondération donner aux indicateurs ? », interroge Flore Nougarede. Et enfin, comment présenter cela aux consommateurs ? Sous forme de données informatives, brutes, ou alors, avec un code couleur ou une note, une démarche plus prescriptive ? « Il faudra faire des choix politiques », prévient Flore Nougarede.
De plus en plus, le sujet de l'alimentation durable s'invite dans les débats de société et politiques. Le projet de loi climat et résilience, qui devrait être voté à l'automne, le porte dans son article premier. Celui-ci prévoit un affichage environnemental pour tous les secteurs, d'ici cinq ans. Mais certains ont déjà démarré. Concernant l'alimentation, en effet, la loi contre le gaspillage et pour l'économie circulaire du 10 février 2020 a déjà prévu l'expérimentation de dix-huit mois, actuellement menée par l'ADEME.
Mais le comportement des acheteurs ne constitue que l'un des leviers pour faire baisser l'empreinte environnementale d'un aliment : en France, l'impact écologique des différentes étapes d'un aliment se répartit ainsi : 78% dans l'agriculture, 8% dans la transformation, 5% dans l'emballage, 5% dans le transport, 2% dans le supermarché, et 1% dans la consommation. Reste que l'affichage, incitant les consommateurs à choisir des produits écologiquement plus vertueux, pourrait, par ricochet, induire un effort des producteurs...