Respect de la COP21 : le Gouvernement a trois mois pour convaincre le Conseil d’État

Dans une décision inédite du 19 novembre dernier1, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur une affaire relative au respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Avant de statuer définitivement, le Conseil laisse trois mois au Gouvernement pour le convaincre qu’il peut tenir les objectifs fixés. Une décision qui laisse un avant-goût de victoire aux défenseurs de la cause environnementale.

(c)Adobestock
(c)Adobestock

En signant et en ratifiant l’accord de Paris sur le climat, le 12 décembre 2015, l’Union européenne et la France se sont engagées à lutter contre les effets du changement climatique induit, notamment, par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Pour mettre en œuvre cet engagement, l’UE et ses États membres ont décidé de réduire leurs émissions de 30% par rapport à 2005, d’ici à 2030. Une baisse de 37% étant assignée à la France, qui, elle même, s’est fixée, par la loi, un objectif encore un peu plus ambitieux de réduction de 40% en 2030, par rapport à 1990.

Face à ce qu’elle considère comme une « inaction » de l’État en matière climatique, la commune littorale nordiste de Grande-Synthe, exposée à un risque de submersion, a demandé à l’exécutif de prendre des mesures supplémentaires, afin de garantir le respect des engagements pris sur la scène internationale. Un refus lui ayant été opposé, elle a saisi le Conseil d’État, soutenue dans sa démarche par les villes de Paris et Grenoble, ainsi que plusieurs organisations de défense de l’environnement.

Dans sa décision du 19 novembre dernier, le Conseil d’État a d’abord rappelé que : « l’Union européenne et la France, signataires de la CCNUCC [convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques] et de l’accord de Paris, se sont engagées à lutter contre les effets nocifs du changement climatique induit notamment par l’augmentation, au cours de l’ère industrielle, des émissions de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines, en menant des politiques visant à réduire, par étapes successives, le niveau de ces émissions, afin d’assumer, (…) leurs responsabilités communes, mais différenciées en fonction de leur participation aux émissions acquises et de leurs capacités et moyens à les réduire à l’avenir, au regard de leur niveau de développement économique et social ».

Comment ces engagements se sont-ils traduits en France ? Le Conseil d’État note que le Gouvernement a adopté, par décret du 18 novembre 2015, une trajectoire de réduction des gaz à effets de serre s’étendant sur quatre périodes (2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033), chacune comportant un plafond d’émissions, appelé « budget carbone », progressivement dégressif.

Écart de trajectoire

Sans même avoir à juger de l’efficacité de cette méthode, la Haute juridiction administrative constate que le gouvernement n’a même pas respecté ce qu’il s’était imposé pour la première période. En effet, le plafond d’émissions prévu pour 2015-2018 a sensiblement été dépassé, soit une baisse moyenne de seulement 1% par an, alors que le plafond fixé imposait une réduction de l’ordre de 2,2%. Pire encore, par décret du 21 avril 2020, le Gouvernement a revu à la baisse les trois autres budgets carbone. Ces récentes modifications devraient entraîner un « décalage de la trajectoire de baisse pour atteindre l’objectif prévu pour 2030 ». Conclusion : « une partie des efforts initialement prévus est ainsi reportée après 2023, ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant un rythme qui n’a jamais été atteint jusqu’ici ».

À suivre le raisonnement du Conseil d’État, on aurait légitimement pu s’attendre à l’annulation de la décision implicite de rejet du gouvernement et à une injonction à prendre les mesures qui s’imposent. Toutefois, la juridiction administrative note que  les données scientifiques les plus récentes « mettent en évidence une aggravation des risques climatiques à augmentation de température constante, de sorte que, dans une communication récente, la Commission européenne envisage de proposer d’augmenter l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne pour 2030, en notifiant une nouvelle CDN [contribution déterminée au niveau national] de – 55 % par rapport au niveau d’émission de 1990 ».

Face à ces nouvelles données le Conseil d’État estime qu’il manque d’éléments pour déterminer si le récent décret n° 2020-457 du 21 avril adopte des mesures suffisantes pour se conformer à ces objectifs, et ordonne un supplément d’instruction. Il donne trois mois au Gouvernement pour lui communiquer des éléments nouveaux.

On noteraenfin, que pour une simple décision avant-dire droit, le Conseil d’État s’est montré étrangement sévère avec la politique environnementale du Gouvernement, ce qui laisse peu de doute sur l’issue de ce contentieux…

1(CE, 19 novembre 2019, Commune de Grande-Synthe et autres, n° 427301)