Mobilité

Transports : l’agence de financement des infrastructures suspendue à la décision des députés

Le 25 mars, une commission parlementaire a supprimé l’Agence de financement des infrastructures de transport. Cet organisme garantit pourtant des ressources stables, à l’abri de tout aléa politique, au service d’une politique de long terme.

La « satisfaction des besoins » de mobilité au quotidien des habitants est devenue un enjeu, puis un impératif. © Olivier Razemon
La « satisfaction des besoins » de mobilité au quotidien des habitants est devenue un enjeu, puis un impératif. © Olivier Razemon

Drôle d’anniversaire. L’Afit France (Agence de financement des infrastructures de transport) avait prévu de longue date, le 25 mars, un colloque au ministère des Transports pour célébrer son vingtième anniversaire. Mais au cours de la nuit précédente, la commission spéciale de l’Assemblée nationale, chargée d’examiner le projet de loi de simplification économique, a voté un amendement, déposé par les députés de la Droite républicaine, ordonnant sa suppression.

Cet établissement public administratif, inconnu du grand public, a été créé au début des années 2000 pour coordonner le financement des infrastructures de transport, sous la tutelle du ministère. Actuellement présidée par Franck Leroy, président de la Région Grand-Est, l’Afit France est le réceptacle de diverses recettes liées à la mobilité, comme la TICPE (la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques, les carburants), les amendes des radars automatiques ou les redevances des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Avec 795 000 euros de fonctionnement par an et cinq équivalents temps plein, la structure a été à plusieurs reprises considérée par la Cour des comptes comme «une coquille vide».

Ce n’est pas l’avis du ministre des Transports, Philippe Tabarot, pourtant membre du même parti que les signataires de l’amendement. Dans son discours d’ouverture du colloque, il rappelle que «l’agence a réussi son pari grâce à l’affectation de ressources propres» et s’adresse aux députés : «L’exposé des motifs va à l’inverse des objectifs certainement louables que vous défendez». La réalisation d’infrastructures de transports prend du temps. Il est courant qu’une nouvelle ligne ferroviaire, un réseau de tramway ou une rocade soit inauguré par le successeur de l’élu qui a décidé des travaux, reprenant lui-même à son compte une idée de son prédécesseur. Dès lors, l’agence «protège le financement des aléas» pouvant résulter des décisions politiques, rappelle Philippe Tabarot, soutenu par l’ensemble des invités de l’Afit France, le 25 mars. Pour son prédécesseur Clément Beaune, qui a clôturé l’événement au titre de Haut-commissaire au plan, l’amendement nocturne traduit «un oubli du temps long». La loi sur la simplification économique sera débattue à l’Assemblée nationale la semaine du 7 avril.

Une forte demande de mobilité

Ce qui restera peut-être comme une péripétie parlementaire arrive à un moment crucial pour le financement des transports. Comme le rappelle Sophie Mougard, inspectrice générale de l’Environnement et du Développement durable, le produit de la TICPE devrait être amputé de «trois milliards d’euros en 2028, 5,8 milliards en 2030», à condition que l’électrification du parc automobile se poursuive comme prévu. De nouvelles ressources ont déjà été identifiées, notamment le maintien d’un péage autoroutier après la fin des concessions aux sociétés qui en bénéficient, à partir de 2032. «Je crois à une compensation des mobilités, qui répartit les ressources de la route entre les mobilités décarbonées», assure Philippe Tabarot, reprenant à son compte la doctrine qui a constamment prévalu au ministère des Transports.

Parallèlement, «je n’ai jamais perçu une demande aussi forte en matière de mobilité», témoigne Franck Leroy. Ancien député qui fut président du Comité d’orientation des infrastructures, David Valence confirme : «il n’y a pas un territoire où l’on ne demande pas plus de vélo, plus de trains et de transport par la route». Ces exigences s’expliquent, selon le président de la région Grand-Est par «l’empreinte carbone» des trajets en voiture, «l’augmentation du prix de l’énergie» et «un problème d’équité territoriale» entre les grandes villes et les autres secteurs. À cela il faut ajouter, mais aucun des élus présents ne le fait, la poursuite de l’étalement urbain, qui éloigne continûment les habitants de leurs lieux de travail, d’approvisionnement et de loisirs.

Le poids croissant de la mobilité dans la vie quotidienne et le budget des ménages a fini par entraîner un changement de doctrine. Jusqu’aux années 2000, c’est la stratégie de l’offre qui dominait. «Les gouvernements établissaient une liste des projets à construire, lignes TGV et nœuds autoroutiers», se souvient Philippe Duron, qui a présidé l’Afit France de 2012 à 2018. Progressivement, la «satisfaction des besoins» des habitants est devenue un enjeu, puis un impératif. En 2013, avec d’autres élus de droite comme de gauche, «nous avions conseillé de suspendre les grands projets au profit de la régénération du ferroviaire, de la route et des voies d’eau», rappelle celui qui fut aussi président (PS) de la région Basse-Normandie.

La priorité aux «transports du quotidien» a été validée par Emmanuel Macron au tout début de son premier mandat, en juillet 2017, puis par la Loi d’orientation des mobilités (LOM).

Il n’empêche que la France «souffre encore de la mythologie de l’infrastructure nouvelle», analyse David Valence. Les risques sont pourtant documentés, appuie Sophie Mougard, en prenant l’exemple du Grand Paris Express, le supermétro francilien : «Le remboursement doit durer 50 ans. Or, il faudra regénérer les voies après 30 ans», rappelle-t-elle, suggérant de réserver le financement à très long terme «à des cas particuliers». Un débat que saurait trancher l’Afit France, à condition de survivre à la séquence parlementaire…