Geev, l'application anti-gaspillage
Miser sur le don pour lutter contre le gaspillage : Geev, petite entreprise d'une quinzaine de salariés, a développé une application qui a déjà séduit quelque trois millions d'utilisateurs. Trois questions à Hakim Baka, co-fondateur de la start-up.
Anne Daubrée : Comment est né Geev ?
Hakim Baka : L'histoire est née d'un constat du quotidien. Avec Florian Blanc, mon associé, nous avions remarqué que de nombreux objets étaient jetés, abandonnés, alors qu'ils avaient encore une valeur d'usage. Cela représente un immense gaspillage ! Nous étions tous deux diplômés d'école de commerce, salariés dans la publicité et la finance. Et nous avons décidé de créer notre entreprise. Nous avons commencé par essayer de comprendre ce qui se passe, lorsqu'une personne souhaite se débarrasser d'un objet. Premier réflexe : tenter de le vendre. Mais il faut savoir que 60 à 70% des objets proposés sur les plateformes restent invendus ! L'autre solution consiste à donner à un proche, ou à une association. Mais là aussi, il existe des points bloquants. Les associations ne reprennent pas tous les types d'objets, par exemple. Et solliciter ses proches devient vite chronophage... Nous avons donc choisi de monter une plate-forme pour fluidifier et démocratiser l'usage du don à grande échelle, en 2017. À présent, nous sommes 15 salariés et notre chiffre d'affaires devrait atteindre entre 700 et 800 000 euros cette année.
Quelles sont les motivations des utilisateurs de votre application, et ont-elles évolué avec la crise ?
Nous comptons aujourd'hui trois millions d'utilisateurs en France, et depuis avril 2017, nous avons permis l'échange de 12 millions d'objets et produits alimentaires. Cela touche des personnes au profil très varié, car le sujet de l'anti-gaspillage concerne tout le monde. Outre cette motivation, les utilisateurs viennent également pour des raisons pratiques, et aussi, parce qu'ils partagent des valeurs de solidarité, un goût pour l'échange, la rencontre. En mai 2020, au sortir du premier confinement, notre activité s'est fortement accélérée : les gens étaient beaucoup restés chez eux, ils en ont profité pour faire du tri... Par ailleurs, durant la crise, des utilisateurs ont même acheté des paniers de nourriture, exprès pour les poster sur le site Internet. On était au delà de l'anti-gaspillage, dans une démarche très solidaire. En termes de produits, les plus demandés sont les vêtements, qui représentent entre 20 et 25% des dons. Les autres catégories sont plus équilibrées, comme les livres, qui prennent de la place, les produits électroniques, les meubles... La nourriture représente 7% seulement des dons. Pour récupérer des produits alimentaires chez un particulier, il faut être dans une logique anti-gaspillage très avancée. Ou alors, il s'agit de personnes qui connaissent une gêne financière, mais préfèrent rester discrètes.
Comment une entreprise peut-elle vivre d'un système basé sur le don ?
Notre modèle économique comporte deux sources de revenus, qui concourent de manière équilibrée à notre chiffre d'affaires. L'application est disponible en deux versions, l'une payante et l'autre gratuite. Celle-ci est financée par la publicité. La première fonctionne avec un abonnement mensuel (3,99 euros) ou annuel. Ce tarif est très accessible. En effet, plus un produit est qualitatif, plus il part rapidement : à Paris, par exemple, la moitié des annonces de dons sont contactées dans l'heure qui suit leur parution... Par ailleurs, nous travaillons sur une offre B to B. Le principe : proposer aux acteurs de la distribution d'intégrer le don comme solution de reprise, lorsque leurs clients achètent un produit. Le plus souvent, si on achète un canapé, par exemple, on en possède déjà un... Nous avons déjà réalisé des dispositifs test avec Auchan et Made.com [mobilier et décoration]. La loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire va imposer des contraintes en ce sens, à partir du 1er janvier 2022. Pour l'univers du meuble, par exemple, les volumes sont gigantesques.