Un Boudoir à l’heure écossaise
Grande voyageuse et francophile, Fiona Campbell a posé ses valises, voici huit ans, rue du Connétable à Chantilly. Dans le salon de thé éponyme qu’elle dirige avec son associée, cette Écossaise pur jus cultive ambiance cosy et belles rencontres.
Avec ce ton amical et direct que savent prendre les sujets de Sa Gracieuse Majesté, Fiona Campbell prévient de suite : « Je ne suis pas quelqu’un de sauvage, mais je n’aime pas parler de moi, me mettre en lumière… » Du reste, cette native de Dunfermline, près d’Édimbourg, au caractère bien trempé sous ses apparences de blonde hitchcockienne, est plus dans l’action que dans la démonstration. Pour preuve, elle a décidé à 21 ans de partir seule découvrir le monde armée d’un sac à dos et d’une farouche détermination. « J’étais venue auparavant terminer mes études en France où je suis restée deux ans dans le Sud. » Après avoir sillonné l’Asie, l’Inde, le Népal, la Thaïlande, l’Indonésie et le continent américain durant 18 mois, elle retourne en Écosse, près des siens. « Quand on est partis aussi longtemps loin de chez soi, on a besoin de revenir. » Revenir oui, mais pour mieux prendre à nouveau son envol. Car cette France où elle a résidé deux ans lui manque et puis c’est un bon compromis avec ses racines écossaises : pas trop loin d’elles et toujours en Europe… « J’ai tout de suite trouvé un job chez United Airlines. Pour quelqu’un comme moi qui aime voyager, c’était l’idéal ! J’y ai passé 17 belles années. J’ai rencontré des clients et des collègues exceptionnels et j’ai pu trouver un véritable équilibre entre travail et vie de famille. » Car, pour Fiona Campbell, la famille, c’est sacrée. Elle a trois enfants, une fille et deux gar- çons, à qui elle a transmis le virus des voyages et de la découverte. « On n’a pas toujours dormi dans des cinq-étoiles, mais ils ont hérité de cette ouverture d’esprit. » Et bon sang ne saurait mentir puisque sa fille vit en Chine et que son fils vient de passer un an en Finlande.
Entreprendre en France : un parcours du combattant
En 2009, Fiona décide de changer de cap. Fini la compagnie aérienne : « J’en avais assez de gérer les problèmes des uns et des autres, trop de revendications : je ne supporte pas les gens qui se plaignent en permanence », explique-t-elle sans ambages. Quand on lui objecte qu’elle a tout de même choisi de vivre dans un pays où râler est un sport national, elle répond sans broncher que bien d’autres qualités compensent ce petit défaut hexagonal. À l’époque, l’idée d’ouvrir un salon de thé fait son chemin dans sa tête. Le départ d’une des associées du Boudoir, rue du Connétable, va lui donner l’opportunité de donner corps à son projet. Pour elle, Chantilly est un lieu idéal : une ville chic mais pas guindée, proche de la Capitale, cosmopolite, inévitable point d’attraction de nombreux parisiens et d’étrangers le weekend. « Ce que j’aime ici, c’est qu’on peut rencontrer plein de gens, des anglophones, des Australiens… », s’enthousiasme-t-elle. Sauf que Fiona la pragmatique va vite se heurter aux lourdeurs du système. « Le côté administratif est très pesant en France. Les charges, c’est quelque chose d’énorme. Les demandes auprès des banques, le RSI… Je ne me rendais pas compte que ça allait être si compliqué ! Si des amis se lançaient ici, ils se décourageraient très rapidement, avoue-t-elle tout en tempérant aussitôt, à chaque étape de mes démarches, tout le monde a été super avec moi, je ne me suis pas sentie mise à l’écart. » Son opiniâtreté a fini par avoir raison des pesanteurs de tout poil et Fiona se félicite d’avoir pu réaliser son projet alors qu’outre-Manche, ouvrir un salon de thé s’avère « compliqué, il y a de plus en plus de grandes chaînes de brasserie où tout est standardisé ».
Tout le contraire du Boudoir qui affiche son originalité de halte gourmande et de parenthèse récréative comme y invite le coin sofa situé près de l’entrée. Une formule qui plaît et récolte un très honorable 4 /5 sur Tripadvisor et le Petit Fûté. Sa signature, c’est l’alliance d’un cadre cosy et d’une authenticité sans ostentation : le plus possible de “fait maison”, se déclinant pour le salon de thé autour d’un grand ou d’un petit goûter avec, pour point d’orgue, le dessert du jour, sans oublier les cookies, gaufres, crêpes, jus de fruits, milkshakes, thés chauds ou glacés ; et pour la petite restauration des tartes salées, gâteaux de légumes au foie gras, salades fraîches et saumon fumé… d’Écosse, bien sûr ! Fiona est intarissable sur ses chocolats chauds à l’ancienne, « préparés avec du vrai chocolat » (Michel Cluzel) et ses glaces artisanales à la cannelle, au chocolat blanc ou à la framboise. Dans cette artère très prisée de la cité princière, il faut viser l’excellence : « Tout n’est pas parfait, mais on essaie. Nous avons une employée qui nous aide en cuisine et un traiteur pour certains plats. Là-dessus, je ne mens jamais à mes clients. » 26 couverts à l’intérieur, une terrasse ouverte sur la rue de mai à septembre et une autre, plus confidentielle, dans un charmant jardin de poche. « Le midi, c’est souvent complet. Parfois, il faut réserver, mais il n’y a pas de règle », reconnaît-elle. Les autres points forts du Boudoir sont sa boutique et son épicerie fine. La première regorge de cadeaux à offrir ou à s’offrir : mugs, théières en verre, porcelaine ou japonaises en fonte, cafetières, vaisselle fine, sacs à tarte… L’autre, d’une centaine de références de thés rares, de cafés précieux comme le Blue Mountain de Jamaïque, de chocolats, bonbons, miel bio, confitures, foies gras, épices, liqueurs et champagnes. Côté projets, Fiona aimerait embaucher un cuisinier pour « monter en gamme. » Derrière son comptoir garni de bocaux de sucre candi, cette Écossaise de naissance mais Française de cœur a réussi à créer un lieu qui lui ressemble : généreux et ouvert sur le monde. « Je me sens bien ici, dans mon Boudoir », dit-elle, balayant d’un revers de main fataliste les conséquences que le Brexit pourrait avoir pour elle : « Je m’adapterai ! »