Véhicules électriques : le réseau pourra-t-il tenir en France ?
Pour discréditer la voiture électrique, certains continuent de soutenir que, si tous les véhicules en circulation étaient mus électriquement, les infrastructures de production d’électricité s’écrouleraient. Vrai ou faux ?
Il est vrai que le nombre de véhicules - voitures et poids lourds - se comptant par dizaines de millions, on avance, par multiplication, des chiffres en térawatts/heure (TWh) paraissant astronomiques. Et chaque hiver ou presque, durant une journée ou deux, nous devons veiller à ne pas surconsommer notre électricité ; des délestages peuvent survenir, la priorité étant donné aux hôpitaux et services vitaux. Par ailleurs, on sait que le réchauffement climatique tend à faire baisser le niveau d’eau dans les barrages producteurs d’hydro-électricité.
Tout ceci laisse entendre que la production d’électricité a effectivement des limites - du moins en certaines périodes de l’année. En conclure que le réseau national de RTE (Réseau de Transport d’Electricité, gestionnaire du réseau d'électricité haute tension) ne supportera pas la surcharge due aux véhicules électriques, serait inexact. En fait, la production d’électricité est un constant exercice d’équilibrisme - techniquement et financièrement. Selon les périodes de l’année, la France est en capacité d’exporter son surplus de production ou, à l’inverse, plus rarement, d’importer de l’électricité, comme lorsque qu’une dizaine ou plus de ses 56 réacteurs nucléaires sont à l’arrêt pour maintenance et rechargement d’uranium.
Avec l’arrivée des énergies renouvelables et intermittentes (ensoleillement pour les panneaux solaires, vent pour les éoliennes…) et le « mix énergétique », les infrastructures de production d’électricité vont être, par nature, plus instables ; entre pénurie et surproduction, leur rentabilité s’inscrit dans un créneau étroit (entre 80% et 120% de la capacité de fonctionnement) ; et donc leur ajustement s’impose en temps réel.
7 à 15% de la consommation électrique totale
Considérant que la moitié des 39 millions de voitures immatriculées en France (source Insee) serait simultanément en circulation, cela représenterait 34 TWh, estime RTE. Chiffre imposant, mais ce n’est là que 6 à 7% de la consommation totale d’électricité du pays (480 TWh). En 2019, RTE avait évalué que le secteur des transports avait consommé pas plus de 13 TWh. En 2018, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) avait calculé que la mise en circulation d’un million de véhicules électriques équivaudrait à une demande de l’ordre de 2 TWh, et 30 TWh en 2035 (dans une hypothèse, élevée, de 15 millions de véhicules). Et pour la totalité du secteur des transports, la situation resterait encore supportable avec un pic de consommation de 88 TWh. L’organisation Eurelectric (140 énergéticiens européens) fournit le même ordre de grandeur : si 80% des voitures particulières devenaient électriques, l’augmentation totale de la consommation d'électricité serait de 10 à 15 %. À titre comparatif, les radiateurs électriques en France consomment environ 28% des 158,5 TWh de la consommation résidentielle !
Ainsi même si la consommation moyenne d’une voiture électrique devait dépasser 2 MWh, nous resterions dans une demande gérable. Car nous sommes loin de l’électrification de la totalité du parc automobile : RTE prévoit 15,6 millions de véhicules électriques en 2035 ; et la Plateforme Automobile de France (PFA) ne table que sur 9 millions. En Europe, la part des ventes de voitures électriques ne serait alors que de 19%, mais de 30% en France. Certes, cela pourrait fort bien s’accélérer. Une enquête (PFA, janvier 2022) a révélé que 40% des Français, Allemands, Suédois et Britanniques envisageaient l’achat d’un véhicule électrique (hybride rechargeable ou non), dans les deux ans.
Initiatives citoyennes et sobriété
Dans le même temps, les technologies progressent : efficacité des batteries (et meilleure recyclabilité), allégement des véhicules, alternative de l’hydrogène (pile à combustible, voire « e-carburant »), panneaux solaires jusque sur les véhicules... Les bornes de chargement électrique, privées ou collectives, tendent à être programmables aux heures creuses de la nuit. Les grilles tarifaires vont inciter à allonger la durée de chargement et à diminuer ainsi la puissance requise. Mais, vu le renchérissement inévitable à venir, l’énergie ne pourra être utilisée qu’avec parcimonie. L’installation des bornes publiques s’accélère (110 000 à fin octobre 2023, selon les chiffres du gouvernement) dans les parkings et stations-services (autoroutes), comme sur la voie publique, avec incitation à la réutilisation des infrastructures d’éclairage public.
En fait, pour environ 1,3 million de véhicules électriques actuellement en France, les deux-tiers des recharges se font déjà à domicile (88% en maison individuelle et 59% en résidence collective) et en entreprise (enquête Enedis). À noter que 84% des utilisateurs disposent d’un abonnement électrique suffisant, et 45 % utilisent une prise électrique classique. La durée de charge moyenne est de 9 heures ; 18% rechargent tous les jours, 30% tous les deux à trois jours et 30% chaque semaine.
Nombreux sont les particuliers, entreprises et collectivités qui s’équipent déjà de panneaux solaires, sans attendre les parcs éoliens marins (10 à 15 GWh en 2035). Certaines organisations ou collectivités vont jusqu’à envisager d’utiliser le surplus de charge des batteries pour le réinjecter dans le réseau (V2G, vehicle to grid). Les premières expériences sont mitigées.
Enfin, ne désespérons pas de l’impact de la législation et des initiatives citoyennes pour mieux consommer avec sobriété : covoiturage, partage de véhicules, location (au lieu d’achat), transports en commun (forfaits train), vélos, vélos-cargos…