Visite chez les nouveaux agriculteurs
En dépit de difficultés nombreuses, des agriculteurs se lancent dans l’aventure. Fleurs coupées, maraîchage bio… Témoignages, lors d’un voyage de presse organisé par Chambres d’agriculture France et Initiative France, qui accompagnent ces nouveaux entrepreneurs.
Cela a beau ressembler aux douze travaux d’Hercule, ils persistent et signent. Le 27 octobre, Chambres d’Agriculture France et Initiative France, réseau d’accompagnement à la création d’entreprises, organisaient un voyage de presse en Seine-et-Marne, pour rencontrer trois agricultrices et un transformateur de produits laitiers qui se sont lancés dans l’aventure, il y a peu. Selon des modalités diverses, ils esquissent des voies nouvelles pour le secteur, incluant nouveaux modes de production, distribution et modèles économiques revisités : bio, circuits courts, diversification…
Ainsi, à La Grande Paroisse, Isabelle Chanclud s’est installée dans l’exploitation familiale de 80 hectares en 2019, après trente ans de salariat. Sur 5 000 m², elle développe une activité de fleurs coupées « de la graine au bouquet », qui représente déjà 15% du chiffre d’affaires. Tulipes, renoncules, rosiers, pivoines…la ferme florale abrite plus d’une centaine d’espèces vendues en bouquets, en circuit court. En outre, une aile de la ferme familiale abrite un « atelier » : des groupes viennent apprendre à réaliser des bouquets avec les fleurs qu’ils ont cueillies. En Brie centrale, Marie-Elisabeth Ravasse, elle, a repris l’exploitation familiale de grande culture - 69 hectares de céréales, betteraves... -.
Depuis 2021, elle s’est attelée à sa transformation : conversion au bio, élevage d’ovins en plein air en synergie avec les cultures...Et à partir de 2023, une boutique commercialisant terrines et rillettes ouvrira ses portes à Provins, haut lieu touristique, ainsi qu’un gîte d’étape. Une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) de cette ville achète déjà les légumes de Teresa Garvey et Florentin Duret : le couple a démarré son exploitation maraîchère bio (7 hectares) en 2022, à Villenauxe-La-Petite. Et à Sigy, avec un associé, Ottman Beirouk a mis sur pied un atelier de transformation laitière, La ferme de Sigy, en 2013. Seule une petite route sépare l’atelier de l’élevage de vaches de Robert Villain qui lui procure sa matière première, laquelle passe par un tuyau sous terrain… L’entreprise compte aujourd’hui une douzaine de salariés et Ottman Beirouk prévoit d’ouvrir en 2023 un troisième site de production pour le fromage. Ce produit s’ajoutera aux yogourts, lait pasteurisé et crèmes desserts déjà commercialisés en circuit court.
Des projets hors des sillons
Aucun de ces entrepreneurs n’était véritablement étranger au monde agricole, mais aucun d’entre eux non plus n’a suivi une voie déjà tracée. Bien au contraire. Par exemple, à l’origine de leur projet de maraîchage bio « nous voulions passer du temps ensemble, et mon mari voulait offrir à nos enfants la même enfance qu’il a eue, dans une ferme », explique Teresa Garvey. En revanche, Florentin Duret n’a pas voulu reproduire le modèle de grande culture qui était celui de l’exploitation de sa famille dans la Beauce. Quant à Marie- Élisabeth Ravasse, sensible aux problématiques environnementales, elle est revenue prendre les rênes de la ferme familiale après une carrière de cadre dans une fédération sportive, mais pour la transformer, afin de déployer un modèle durable.
Sébastien Windsor, président de Chambres Agriculture France, qui accompagne les agriculteurs qui souhaitent s’installer, le constate chez ces nouveaux venus : « jouer le rôle d’acteur de la lutte contre le réchauffement climatique apparaît comme l’une des nouvelles motivations que nous voyons apparaître ». « Ces entrepreneurs ont un rapport particulièrement fort à l’environnement. 92% d’entre eux ont réfléchi à l’impact de leur activité sur l’environnement, contre 70%, en moyenne, pour les porteurs de projet soutenus par Initiative France », confirme Guillaume Pepy, président d’Initiative France.
Le réseau, qui a accompagné 610 projets agricoles en 2021, constate également que les projets agricoles sont « particulièrement gourmands en capital », ajoute Guillaume Pepy. En moyenne, le capital de départ de ce type de projets s’élève à 80 000 euros, et dans un quart des cas, l’investissement monte à 250 000 euros. Soit au moins 50% de plus que pour les projets de reprise de commerce ou du développement d’une activité tertiaire… Pour leur installation, Teresa Garvey et Florentin Duret ont par exemple investi 140 000 euros et Ottman Beirouk,160 000 euros. Chacun a réalisé des montages combinant prêts bancaires, aides de collectivités locales, prêt d’honneur accordé par Initiative France… « Cela coinçait à la banque, le prêt d’honneur a permis de débloquer le dossier », témoigne par exemple Ottman Beirouk.
Une vocation ?
En matière d’installation et au quotidien, les difficultés rencontrées par ces agriculteurs ne se limitent pas au financement. Plusieurs d’entre eux soulignent les complexités administratives auxquelles ils font face. « Certaines démarches sont très complexes. Par exemple, pour l’accès à l’eau, il y a les études à réaliser en amont, des dossiers à déposer… C’est loin d’être clos, et ce n’est qu’un sujet parmi d’autres », témoigne Teresa Garvey. La question de la main d’œuvre peut également se révéler problématique. « Il est compliqué de former des jeunes pour qu’ils participent à la gestion de l’entreprise. Les écoles laitières sont en baisse et c’est la bagarre pour trouver un bon technicien. Il est difficile de trouver des gens compétents qui ont envie de rester », pointe Ottman Beirouk.
Et si l’entrepreneur, qui travaille en famille, gagne « bien sa vie », pour les autres, la question du revenu constitue un sujet dolent. Pouvoir dégager un revenu acceptable constitue « un problème majeur de l’agriculture. Nous espérons vivre dignement de notre activité », explique Isabelle Chanclud. Le couple de maraîchers prévoit, lui, de se verser 1 500 euros chacun à partir de 2023. En revanche, pour Marie Élisabeth Ravasse, « l’objectif, c’est le Smic à cinq ans. Aujourd’hui, je m’assois à la table de mes parents et je n’ai pas pris de vacances depuis un an », témoigne-t-elle. « L’un des enjeux forts réside dans le fait de créer des activités qui permettent de générer un revenu décent pour les agriculteurs », confirme Sébastien Windsor. Avec la nécessité de transformer les modèles agricoles existants, c’est l’une des facettes de l’épineux sujet du renouvellement de la population des agriculteurs : d’ici une dizaine d’années, la moitié de ceux en activité arrivera à l’âge de la retraite, soit environ 200 000 exploitants à remplacer.