Artificialisation : les maires face à leurs contradictions
Au récent Congrès des maires à Paris, l’acronyme ZAN (Zéro artificialisation nette) a suscité interrogations et hostilités. Les élus locaux, en délivrant des permis de construire, ont pourtant contribué à l’artificialisation du territoire français.
Dans la salle du parc des Expositions de la porte de Versailles, les maires patientent les uns derrière les autres, avant de prendre la parole au micro. Réunis en congrès à Paris, du 19 au 21 novembre, ils semblent tous décidés à contribuer au débat du jour : le ZAN, pour « zéro artificialisation nette ». En 2021, la loi Climat et résilience a fixé à 2050 la fin de l’artificialisation des sols. Toute bétonisation devra alors être compensée par la renaturation d’une surface équivalente. Un objectif intermédiaire, une réduction de 50% de l’artificialisation, est fixé à 2031. Et ce sont les maires, titulaires du droit d’octroyer les permis de construire, qui sont chargés d’appliquer ces dispositions.
L’hostilité de certains élus à la sobriété foncière n’est ni une surprise, ni une nouveauté. Les opposants les plus résolus l’expriment avec virulence, comme ce maire d’une petite commune de Dordogne qui dénonce « une loi mortifère pour les territoires ruraux », ou ses collègues qui s’exclament : « on ne peut plus rien faire », « on nous vole notre liberté », « on en a marre », ou encore « le bon sens vient toujours des territoires ». Quelques-uns d’entre eux plaident la surprise : « c’est arrivé dans notre dos, on ne nous avait pas prévenus ». Ces propos sont fortement applaudis par les congressistes.
Le pavillon « démodé »
D’autres maires ne sont pas forcément hostiles à la sobriété foncière, mais expliquent pourquoi l’objectif ZAN est difficile à remplir. « Les délais de mise en œuvre de la loi ne correspondent pas au rythme des collectivités locales », affirme Sylvain Robert, maire socialiste de Lens (Pas-de-Calais). Dans les régions touristiques, « les jeunes et les salariés ont du mal à se loger », tandis que les habitations les plus prisées sont transformées en locations meublées. Partenaire des maires par sa fonction, Laurence Rouède, vice-présidente (PS) du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine en charge de « l’équité des territoires », dénonce « l’impensé entre le ZAN et la réindustrialisation, le ZAN et la production de logements sociaux, le ZAN et les panneaux photovoltaïques ». Plusieurs élus déplorent aussi « le manque d’ingénierie » qui handicape les petites communes.
Vice-présidente de la Fédération des SCoT (Schémas de cohérence territoriale) et maire (divers gauche) de Dainville (Pas-de-Calais), Françoise Rossignol déplore que le législateur n’ait pas « envisagé l’atterrissage du texte », dont les maires ont la charge. Ce sont eux qui doivent « expliquer à un propriétaire que ses terrains constructibles n’ont finalement plus de valeur », ou que « l’idée du pavillon est démodée », assure l’élue de la périphérie d’Arras, qui veut « préserver l’économie et des conditions de vie désirables ».
Deux sénateurs, Jean-Baptiste Blanc (LR, Vaucluse) et Guislain Cambier (Union centriste, Nord), ont rédigé une proposition de loi visant à assouplir les obligations. Le parlementaire nordiste, qui « refuse de prononcer » l’acronyme ZAN, dénonce « une logique descendante qui ne tient pas compte des aspirations des maires ». Son collègue du Vaucluse assure que « ce n’est pas très grave si l’on déroge un peu ». La proposition de loi prévoit, notamment, de repousser les délais et de remplacer le terme ZAN par celui de « Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux » (Trace).
Les sénateurs n’ignorent pourtant pas que la loi a déjà été assouplie plusieurs fois. En juillet 2023, la loi ZAN avait institué un « droit au projet » permettant à chacune des 34 900 communes de France de construire sur un hectare, quelle que soit la densité du territoire. En mai, le gouvernement avait publié une liste de « grands projets », industriels, portuaires ou de transports, dont la surface sera ajoutée au maximal autorisé.
La fiscalité des zones commerciales
Face à cette levée de boucliers, c’est la ministre du Partenariat avec les territoires, Catherine Vautrin, qui doit rappeler les enjeux. « Entre 2019 et 2022, 24 000 hectares ont été consommés chaque année, soit quatre fois plus que l’augmentation de notre démographie », indique-t-elle. Alors que la colère monte dans les campagnes, elle ajoute que « les agriculteurs sont les premiers à nous rappeler d’être vigilants au sujet de l’autosuffisance alimentaire ».
Députée ( LIOT) du Loiret, Constance de Pélichy dénonce elle aussi « l’artificialisation très importante de ces dernières années ». Un processus bien connu : « une zone commerciale ramène de la Tascom (taxe sur les surfaces commerciales), de la CFE (cotisation foncière des entreprises), de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). On touche du doigt le fonctionnement vicieux de l’aménagement du territoire », dit la députée. En Belgique, l’équivalent de la loi ZAN, votée en 2018, a d’ailleurs été affublée d’un nom plus évocateur : « Stop béton ».
Face aux difficultés des petites communes et aux contradictions des élus, Catherine Vautrin finit elle aussi par évoquer un « assouplissement », sans déroger à l’objectif initial. Mais elle commente, avec ironie : « vous demandez de la stabilité législative et réglementaire, mais vous voulez tous une nouvelle loi ».