Dans l'Oise, les artisans au bord du précipice
Ils sont le socle de l'économie du pays, ils sont la base de l'économie locale et ils font vivre un territoire. Les artisans ont maintenant dépassé le cap de l'inquiétude. Avec la folle hausse des matières premières et maintenant la hausse exorbitante du coût de l'électricité, la colère et l’effondrement ont pris le relais. Alors que certains (les boulangers) étaient « essentiels » durant la crise de la Covid-19, ils se sentent aujourd'hui abandonnés et non considérés, sans réponse de la part du Gouvernement, fermant à tour de rôle dans les communes rurales... Pour beaucoup d'artisans, l'année 2023 risque d'être la dernière.
C'est un appel à
l'aide que lance la Chambre des métiers et de l'artisanat (CMA) de
l'Oise, représentante des artisans. Un appel destiné directement à
l’État, qui pour l'heure n'apporte pas de solutions concrètes à
tous les artisans : si une remise de 25% sur le coût de
l'électricité est attribuée aux artisans utilisant moins de 36 Kw
et plus de 60 Kw, les artisans se situant dans la tranche du milieu
ne perçoivent aucune aide. « Et ce sont essentiellement les
boulangers et les bouchers qui sont concernés, note Morgan
Issac, président de la CMA de l'Oise et fleuriste de profession. Et puis quand bien
même cette remise serait applicable à tous, une remise de 25% n'est
pas suffisante au vu de l'augmentation énorme du prix de
l'électricité. Il faut agir vite car les factures quadruples, voire
pire. »
Si les boulangers et les bouchers sont directement touchés par la
hausse du coût de l'électricité, c'est maintenant au tour des
esthéticiennes, des pressings et des fleuristes, sans compter tous
ceux touchés par la hausse des matières premières depuis la crise
de la Covid-19. Chez les artisans, tout le monde est concerné. « Par
exemple, pour les fleuristes, nous avons des impacts indirects. Il y
a 60% de production en moins de fleurs aux Pays-Bas pour stabiliser
les prix, il y a donc moins de produits, explique Morgan Issac.
Le prix des fleurs a aussi augmenté, nous prenons sur nos marges
car nous ne pouvons pas vendre une fleur à un prix déraisonnable.
Mais à un moment donné, nous allons devoir augmenter nos prix, mais
nous allons moins vendre, c'est un cercle infernal. »
Désormais, l'inquiétude a passé le relais à l'incompréhension et
à la colère. La CMA de l'Oise demande au gouvernement une réponse
claire : « Pourquoi cette hausse du coût de
l'électricité ? », interroge Morgan Issac. Mais
aussi des solutions qui, pour lui, deviennent urgentes. « C'est
une mise à mort des artisans. »
Les boulangers en péril...
Directement touchés par cette crise de l'énergie, les
boulangers ne savent plus quoi faire, à part fermer leur boutique.
Quand, en novembre, une facture passant de 1 500 euros à 6 000 euros ou encore de 1 500 euros à 15 000 euros, la seule
solution est d'arrêter l'activité. « Il faut que les
pouvoirs publics prennent conscience de la situation et que les
paroles se transforment en acte, martèle le président de la CMA
de l'Oise. Notre crainte, c'est qu'au premier trimestre 2023, il y
ait une apothéose de fermetures. »
Et la Fédération nationale des boulangers ne semble pas plus
optimiste : en 2023, elle estime, si la situation de s'arrange
pas, que 53% des boulangeries fermeront en France, soit un peu plus
d'un boulanger sur deux... à l'heure où la baguette rentre dans le patrimoine culturel immatériel de l'Unesco.
Dans
l'Oise, les conséquences de cette crise de l'énergie cumulées à
la hausse des matières premières se concrétisent déjà. Déjà
trois boulangeries autour de Crèvecœur-le-Grand ont fermé, dont
une à Sérévillers, une institution de 40 ans. Et l'une des
boulangeries de Crèvecœur-le-Grand, Dugrosprez Cyrille, lance un
cri de colère. «
Il y a deux ans, on nous dit qu'on est essentiels, on devait
travailler, et aujourd'hui on nous laisse mourir,
témoigne Véronique Dugrosprez qui tient la boulangerie avec son
mari depuis plus de 20 ans. Comment
faire pour payer des factures qui augmentent de x10 ? Même x4 on ne
peut pas payer. Ce n'est pas qu'on ne veut pas mais on ne peut pas ! On ne va pas vendre une baguette à quatre euros ! »
Elle
qui n'a jamais vécu une crise aussi alarmante en plus de 20 ans de
métier s'inquiète pour l'avenir des boulangers. «
Il faut transformer les paroles en actes, il faut que le gouvernement
agisse et arrête de faire de belles promesses. Il faut une solution
d'urgence »,
continue-t-elle.
… et en colère
Et
cette crise de l'énergie est la goutte de trop dans les finances de
ces artisans. Déjà impactés par la hausse des matières premières
et des menaces de pénuries de produits, cumulées aux charges déjà
présentes, pour cette boulangère l'avenir du métier même est en
péril. « Nous
sommes des passionnés mais nous ne pouvons pas travailler. Ce n'est
même pas une question de travail car nous travaillons, les clients
sont là. Nous devenons des gestionnaires, à faire des économies de
bout de ficelle. Nous ne travaillons pas dans de bonnes conditions. »
Des
économies devenues nécessaires quand le prix du beurre a triplé, celui du sel a augmenté de 70% et ceux des produits à base
de framboises, de 80%. « On
s'inquiète pour Noël. Depuis cinq mois, c'est la folie »,
continue Valérie Dugrosprez.
Au-delà
de l'aspect financier, cette colère explose chez les artisans car le
sentiment d'être mal considérés explose également. « Nous
sommes importants, nous sommes essentiels, nous apportons beaucoup à
l'économie... tout ça on nous le répète, scande Morgan Isaac.
Et maintenant ? Sans les artisans, que faisons-nous ? » Ces
propos font écho à un sentiment partagé chez Véronique Dugrosprez :
« Nous apportons
un vrai service. Je vous parle des boulangeries rurales, où nous
déposons le pain chez les gens, même sur leur table car certains
n'ont pas le permis. On ferme la boulangerie, une institution mais on
abandonne le monde rural. »
Des appels tout de même entendus par l’État qui organise des rencontres avec les artisans... mais qui ne sont pas assez rapides pour ces professionnels, attendant des réponses urgentes, reflétant l'urgence du terrain.