Désindustrialisation : une prise de conscience tardive en France
À quelques mois de l’élection présidentielle, la désindustrialisation refait surface dans les débats politiques. S’il est désormais question de reconquête industrielle, celle-ci arrive hélas bien tardivement, après 30 ans d’abandon…
Lors de son discours du 12 octobre dernier, Emmanuel Macron annonçait son plan France 2030 doté de 30 milliards d’euros, pour répondre « aux grands défis de notre temps, en particulier la transition écologique, à travers un plan d’investissement massif pour faire émerger les futurs champions technologiques de demain et accompagner les transitions de nos secteurs d’excellence, automobile, aéronautique ou encore espace ». Bref, il s’agit de miser sur des secteurs réputés porteurs, tout en baissant les émissions de gaz à effet de serre et en décarbonant l’industrie. À mots à peine couverts, c’est donc bien contre la désindustrialisation que le président de la République entend lutter…
État des lieux
Les statisticiens de l’Insee définissent l’industrie manufacturière comme l’ensemble des industries de transformation matérielle significative. Dès lors, la désindustrialisation peut désigner la destruction d’emplois industriels ou le recul de l’activité industrielle dans le PIB. Mais, quel que soit l’indicateur retenu, il est incontestable que la France souffre d’une désindustrialisation accélérée. Pour donner un ordre de grandeur, alors qu’au début des années 1970, l’emploi dans l’industrie représentait près du quart de l’emploi total, ce chiffre est tombé à environ 10%, en 2019. Quant à la part de l’industrie manufacturière dans le PIB français, celle-ci a baissé de 9 points en 40 ans, phénomène que l’on retrouve, à des degrés divers, dans beaucoup de pays européens, à l’exception notable de l’Allemagne, tirée par son tissu de PME (Mittelstand).
Les problèmes qui résultent de cette désindustrialisation accélérée sont nombreux et graves. En effet, l’industrie rémunère en général ses salariés bien mieux que le secteur des services, en raison notamment de gains de productivité beaucoup plus élevés. Ainsi, la perte d’emplois industriels, loin d’être compensée par des emplois en qualité et en nombre équivalents dans les services, se traduit par une baisse du pouvoir d’achat des ménages et donc de la demande globale.
De plus, l’industrie fait vivre de nombreux sous-traitants et sa disparition dans un bassin (fermeture ou délocalisation) a de lourdes conséquences sur les inégalités et l’attractivité territoriales. En outre, la désindustrialisation conduit à une dégradation de la balance commerciale et à une baisse des dépenses nationales de R&D. Quant à la perte de souveraineté qui résulte de la nécessité d’importer de nombreux produits comme les médicaments ou les semi-conducteurs, elle vient de trouver son acmé durant la pandémie.
Des causes multiples
Les chiffres montrent que les ménages ont réduit la part des biens manufacturés dans leurs dépenses de consommation depuis 40 ans, au profit des services. Cela peut résulter d’une préférence pour les services, comme c’est le cas dans tous les pays dont le niveau de vie augmente, mais aussi du progrès technique qui conduit à une diminution des prix relatifs des produits industriels et donc, toutes choses égales par ailleurs, à un recul en valeur de la part des produits industriels dans la consommation.
Ainsi, le très net recul de la part en valeur de l’industrie dans le PIB peut s’expliquer par trois facteurs principaux, le progrès technique, les préférences des consommateurs et le commerce extérieur, même si la plupart des études concluent à l’importance des deux premiers. Et à ces explications socioéconomiques, il faut ajouter des choix politiques désastreux, depuis trois décennies : financiarisation de l’économie, désintérêt pour l’industrie, orientation des jeunes vers les métiers des services, et surtout illusion d’une économie de la connaissance, sans implantation industrielle nationale (fabless pour reprendre les mots d’un grand patron français…), qui a conduit à laisser partir les industries à l’Est et en Asie.
Certes, la désindustrialisation semble avoir subi un coup d’arrêt depuis quelques années, mais est-on réellement à l’étiage ? Les mesures gouvernementales de réindustrialisation telles que le CICE (crédit d’impôt compétitivité et emploi), les baisses de cotisations sociales et les subventions (développement, relocalisation) n’y sont certainement pas étrangères. Mais elles ont pour principal défaut de fonder toute la politique industrielle du pays sur la compétitivité coût, qui demeure dépendante de nombreux facteurs non maîtrisables, comme la concurrence des pays à bas coûts, le taux de change de l’euro, la politique économique européenne…
C’est la compétitivité hors coût qu’il faudrait viser, donc l’excellence des produits. Mais la France dispose-t-elle encore des savoir-faire suffisants pour recréer une industrie de grande taille ?