Le monde agricole inquiet

La FNSEA a fait le point sur les grands points d'actualité agricole, lors de sa conférence de rentrée. L’occasion pour sa présidente, Christiane Lambert, de relater les inquiétudes des exploitants et les problématiques du secteur.

(c)Adobestock
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« Vulnérabilité ». C’est le terme qu’a choisi Christiane Lambert pour entamer son propos lors du point de rentrée de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) sur la situation de l’agriculture. Une rentrée qui « n’en est pas vraiment une » pour la présidente de la FNSEA, tant l’agriculture a été « sur tous les fronts cet été : conditions climatiques inédites et charges exceptionnelles » et chocs économiques. De fait, « le sentiment qui prédomine chez les agriculteurs est l’inquiétude par rapport à demain, à la fois sur les hausses de charges, les pressions prix et sur l’avenir et la durée de la guerre menée par la Russie et ses conséquences économiques ». Avec un secteur qui est « en première ligne aujourd’hui », Christiane Lambert a notamment mis en avant la fragilité des exploitations et de la production alimentaire, qui s’exprime par des pertes considérables de rendement suite à « des décisions géopolitiques qui peuvent venir perturber la chaîne alimentaire » et aux aléas climatiques –sécheresse et canicule historiques, incendies de forêt inédits. « Face au changement climatique, les agriculteurs subissent de nombreux risques répétés ». Mais la France n’est pas isolée, a rappelé Christiane Lambert, puisque « 44% de la surface agricole européenne connaît une situation de sécheresse ». Dans certains pays, comme l’Espagne ou l’Italie, la situation est « encore pire, avec des niveaux de perte jusqu’à moins 70% en Espagne, par exemple ».

Assurance récolte attractive

En termes d’outils de résilience, Christiane Lambert a insisté sur la nécessité de conclure sur tous les volets du Varenne agricole, et notamment celui « gestion des risques » et la loi du 2 mars 2022 qui réforme le système d'assurance récolte face à la multiplication des aléas météorologiques, afin de rendre plus accessible la couverture contre les risques climatiques. L’Etat s’est engagé à apporter 600 millions d’euros par an, pour indemniser les agriculteurs victimes de ces catastrophes climatiques. Dans le détail, il s’agit de 185 millions de la PAC, de 120 millions des contributions des agriculteurs et 90 millions des fonds de calamité. Soit 205 millions d’euros en new money de la part de l’État, a détaillé Christiane Lambert. Il faut ce « choc assurantiel » au 1er janvier 2023 avec un dispositif attractif pour les contrats qui risquent d’augmenter en raison de la sinistralité qui augmente ». Objectifs, inciter plus d’agriculteurs à s’assurer et « déclencher l’assurance plus tôt pour qu’ils voient le retour de leur investissement ». Car pour l’heure, seules 30 % des surfaces agricoles en France sont assurées. « L’assurance et la solidarité nationale permettront de tenir nos exploitations debout. »

« Pratiques illégales » des distributeurs

Faisant également état de l’explosion des coûts de l’énergie et des intrants à laquelle doivent faire face les agriculteurs, la présidente du principal syndicat agricole français a notamment appelé à « sauver le soldat élevage ». « Pour les éleveurs, qui travaillent plus et restent soumis à autant d’incertitudes, climatiques, économiques et de pression sociale, c’est très dur à vivre. Beaucoup d’entre eux s’interrogent » a-t-elle confié. Il faut s’en préoccuper, d’autant plus « si l’on veut garder la jeune génération, avec des temps choisis, des niveaux de revenus, avec des solutions pour les astreintes ».

L’occasion également de dénoncer « les pratiques illégales de certains grands distributeurs » en ce qui concerne l’inflation. « Il faut ramener de la raison dans le comportement des distributeurs ». Ainsi, s’ils ont été solidaires pendant le confinement, ils « ne respectent pas » la charte d'engagement qu'ils ont signée en avril, dans le cadre du comité de suivi hebdomadaire des négociations commerciales, afin de tenir compte de la guerre en Ukraine et de la grippe aviaire. Notamment parce qu’ils « facturent des pénalités logistiques aux industriels », alors que l’article 7 de la loi Alimentation interdit cette pratique, a-t-elle rappelé. « L’an dernier, la DGCCRF [ Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes] a chiffré à 200 millions d’euros ces marges de côté abusives captées par les distributeurs ». Outre ces « pratiques scandaleuses », il faut revoir cette charte suite à l’explosion des charges, a assuré Christiane Lambert. Les agriculteurs doivent pouvoir répercuter la hausse des prix et des coûts de production « jusqu’au bout, sinon on ne passe pas ».

Planification écologique et alimentaire

« Face à ce contexte, l’agriculture a besoin de mesures d’urgence et de long terme pour tenir et garantir la pérennité des exploitations. Il faut des outils pour des retours de trésorerie immédiats et des outils de résilience ». Rappelant que la « capacité alimentaire de la France à produire n’est pas acquise », la présidente de la FNSEA a appelé à « la vigilance quant au risque de pénurie de l’alimentation », prenant l’exemple de champs de pommes de terre non irrigués qui peuvent diminuer le rendement jusqu’à -30 ou -50%. Pour autant, « pas question pour nous d’être abattus. Nous sommes déterminés à agir ». Les agriculteurs étant « les défenseurs de la souveraineté alimentaire », Christiane Lambert a insisté sur la nécessité d’une double planification, à la fois « alimentaire et écologique ». Pour y parvenir, il faut « donner les moyens à la relocalisation de la production en France, améliorer le revenu des agriculteurs et attirer les talents, l’agriculture ayant besoin de bras ».

Outre la création de conditions de production en France, il faut un « accès à l’eau pérenne » en concrétisant notamment le « Varenne de l’eau ». Sur ce dernier point, « il faut avancer sur plusieurs fronts, créer de nouveaux lieux de stockage pour capter l’eau durant les épisodes de pluie diluviennes de plus en plus fréquents et pouvoir réutiliser les eaux usées », a-t-elle poursuivi. Les agriculteurs ont à ce sujet identifié « une panoplie de solutions », à la fois pour l’alimentation, pour l’indépendance énergétique et la transition écologique. En termes d’adaptation au changement climatique, « l’agriculture a repris place parmi les atouts stratégiques de la France », a assuré Christiane Lambert listant quelques-unes de leurs bonnes pratiques : le choix de leurs assolements, l’ajustement des dates de semis, l’utilisation raisonnée de l’eau... « On va déployer des conseils techniques et de l’accompagnement car certains agriculteurs nous demandent des solutions ». Pour conclure néanmoins que « la filière a déjà engagé beaucoup de changements ».