Que nous révèle le déficit commercial de la France ?

En 2021, le déficit commercial de la France s’est encore creusé pour atteindre 84,7 milliards d’euros, un record historique. Mais ce chiffre impressionnant doit être mis en perspective sur le plan économique, mais aussi politique… Décryptage.

(c)Adobestock
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84,7 milliards d’euros (soit 3,4 % du PIB) en 2021 : c’est le nouveau record du déficit commercial en France ! Pour conjurer ce mauvais chiffre, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a affirmé qu’il avait «la très ferme détermination de relever sous dix ans ce défi, et de revenir à ce qu’était la situation avant les années 2000 : une balance commerciale excédentaire». Dont acte. Mais encore faut-il s’entendre sur ce que la balance commerciale nous apprend du commerce international de la France.

Le déficit commercial de la France

Pour rappel, en France, la balance commerciale retrace la valeur des exportations et des importations de biens (pas les services), sur la base des statistiques douanières.

Depuis 2004, le solde commercial (différence entre la valeur des biens exportés et celle des biens importés) est structurellement déficitaire, même une fois retranchées les inévitables importations d’énergie. Cela n’empêche pas la France d’avoir traditionnellement des excédents commerciaux dans les secteurs de l’aéronautique, de la chimie, des parfums et cosmétiques, de l’agroalimentaire et de la pharmacie. Les principaux déficits sectoriels se situent bien entendu dans l’énergie, mais aussi dans les biens d’équipement, le textile et l’automobile. L’Union européenne représente plus de la moitié des exportations françaises, ce qui pourrait certainement encore être amélioré si l’UE cherchait à être mieux intégrée économiquement. Bon an mal an, les principaux clients de la France sont l’Allemagne, l’Italie, les États-Unis et l’Espagne, que l’on retrouve aussi comme fournisseurs, ainsi que la Chine.

Le poids du pétrole et du gaz

En 2020, la pandémie avait pesé sur les exportations françaises, notamment dans l’aéronautique ou l’automobile, mais le poids des importations avait été limité par la forte diminution de la facture énergétique, d’où un déficit commercial de 65,2 milliards d’euros. Mais très vite, la reprise simultanée de l’activité dans le monde entier a conduit à des goulets d’étranglement sur de nombreux produits (bois, semi-conducteurs…), dont les matières premières énergétiques. Ce faisant, les cours de ces biens importés ont beaucoup augmenté, la facture énergétique pesant à elle seule 43,1 milliards d’euros en 2021 contre 25,2 milliards, l’année précédente.

Au total, en 2021, les exportations de la France ont été en hausse de 17 % et les importations de 18,8%, ce qui correspond au déficit commercial de 84,7 milliards d’euros (64,8 milliards d’euros, hors énergie et matériel militaire). Et au vu de l’évolution actuelle des cours du pétrole et du gaz, qui étrangle à la fois la demande des ménages et la production des entreprises, il y a fort à parier que l’on s’achemine vers une croissance faible et de l’inflation - appelée stagflation -, situation défavorable aux exportations.

Une économie de services qui se désindustrialise

Mais au-delà du commerce des biens, il est nécessaire de s’intéresser également aux échanges internationaux de services. Or, le moins que l’on puisse dire est que, sur ce plan, la France s’en tire très honorablement, car l’excédent des services a atteint, en 2021, un nouveau record historique à 36,2 milliards d’euros, contre 16,4 milliards en 2020. Ce rebond après la crise liée à la pandémie, s’explique principalement par les exportations de services de transport, dont les prix ont beaucoup augmenté, avec celui du fret maritime. Des secteurs d’importance comme le tourisme, les services d’assurance et ceux de construction sont quant à eux encore loin de leur niveau d’avant-crise.

Ainsi, structurellement en France, le solde commercial est déficitaire, mais le solde de la balance des services est excédentaire, ce qui reflète assez bien la réalité de l’économie française où la part de l’industrie est déclinante et où les emplois se situent essentiellement dans le secteur des services. Faut-il rappeler que durant trois décennies, l’économie française s’est construite sur l’illusion d’une économie de la connaissance, sans implantation industrielle nationale (fabless), qui a contribué à une désindustrialisation accélérée. De là a notamment découlé une baisse tendancielle des gains de productivité et une croissance potentielle en berne.

Devant ce tableau contrasté, désigner comme seuls coupables les coûts salariaux relève de la mesquinerie. Outre que le différentiel avec l’Allemagne s’est largement résorbé dans l’industrie, la compétitivité ne dépend pas que des coûts et des prix, mais aussi des caractéristiques des biens. Les véritables questions devraient donc être : la France dispose-t-elle encore des compétences nécessaires pour produire dans l’industrie ? Pourquoi condamner les importations, si elles permettent, entre autres, la diffusion du progrès technique ? Quels sont les secteurs d’avenir ?

Répondre à ces questions est le premier pas vers une politique industrielle, qui fait tant défaut depuis les années 1990 !