Recrutements : « Aujourd’hui le candidat est roi »
Alors que le marché de l’emploi est reparti à la hausse, les entreprises peinent à recruter et à fidéliser leurs collaborateurs. Adrien Scemama, le directeur de Talent.com en France - moteur de recherche et plate-forme internationale de recherche d'emploi - présente dans 78 pays, nous livre son point de vue sur le sujet.
Comment se porte le marché de l’emploi avec la crise sanitaire ?
Adrien Scemama : Alors qu’en 2020 avec la première vague, 50% de nos clients avaient mis en pause leur campagne de recrutement, en 2021, malgré les différentes vagues, le marché français s’est adapté et nos clients n’ont pas baissé la fréquence et leurs dépenses pour attirer des candidats. Les recruteurs continuent de dépenser beaucoup d’argent pour être vus. Nous enregistrons même un nombre historique d’offres avec une tendance à la hausse depuis mai 2021. On enregistre ainsi sur notre site plus de deux millions d’offres. Alors que l’on sort d’une crise, le marché du recrutement ne s’est jamais aussi bien porté. À date et depuis mai, on observe une reprise globale du marché.
Les attentes des candidats ont-elles changé avec la crise ?
Si le nombre d’offres augmente, la demande, elle, ne suit pas. C’est un vrai souci. Les candidats continuent de se montrer curieux et consultent les offres, mais ils ne postulent pas et ne s’engagent pas. Ils veulent chercher de nouvelles perspectives, trouver du sens à leur travail et un équilibre entre leur vie privée et professionnelle, voire favoriser leur vie personnelle, partir des grandes villes, changer de métier. L’explosion du nombre d’indépendants montre leur aspiration à plus de confort de vie, d’autonomie et de liberté. Ces questions sont au centre des intérêts des candidats, qui s’interrogent beaucoup plus qu’auparavant ; ce qui a un impact sur le taux de turnover qui n’a jamais été aussi important. Les salariés préfèrent négocier des ruptures conventionnelles et se mettent en pause pour réfléchir et faire des bilans de compétences ou participer à des formations. Le phénomène covid les fait douter et remet tout en question. C’est du jamais vu !
La situation du marché de l’emploi s’est donc inversée ?
Le marché de l’emploi s’est inversé et cette inversion va se poursuivre sur 2022. Auparavant, on parlait de candidat « prêt à tout ». Aujourd’hui le candidat est roi et c’est à l’entreprise de s’adapter à ses souhaits. C’est elle qui doit se vendre. Le marché va continuer à se tendre avec un « candidat roi » qui va faire sa sélection parmi plusieurs propositions d’embauche. De manière générale, les entreprises rencontrent de grosses difficultés à recruter sur les postes vacants, à attirer les candidats et à les garder. L’enjeu sera également de réussir à garder les talents. Le critère du télétravail n’est même plus un critère. Si l’entreprise n’en propose pas, elle n’est pas attractive et aura peu de chances de pouvoir recruter. En passant au télétravail à 90% et en l’affichant dans l’intitulé de ses offres, Boursorama, qui ne recrutait auparavant qu’en l’Ile-de-France, peut désormais chasser des candidats sur toute la France. Cela confère à l’entreprise une attractivité forte.
Les entreprises sont-elles confrontées à une pénurie de main d’œuvre ?
Il y a une réelle pénurie de main d’œuvre qui est d’abord liée à l’évolution démographique. Celle-ci sévit plus dans certains secteurs. Certains métiers, qui ne paient pas ou n’offrent aucune liberté d’agenda, n’attirent plus. Ainsi, les offres d’emploi des secteurs de la restauration, de la logistique et du commerce ne trouvent pas rapidement preneur. Dans l’hôtellerie-restauration, le télétravail n’est pas possible et les salariés doivent souvent être multitâches et faire des horaires à rallonge, sans être forcément mieux payés. C’est un secteur qui est fortement impacté et peine à attirer. D’autres, comme le BTP ou les services à la personne, font face à une réelle pénurie, avec une politique de plus en plus fermée sur l’immigration, qui complique le recrutement dans ces secteurs. Le coût à la candidature de nos clients dans ce secteur a par exemple été multiplié par deux depuis le mois de mai 2021 et les difficultés risquent de se poursuivre. De fait, les entreprises vont devoir augmenter leur budget de recrutement, non pas pour recruter plus, mais pour le même nombre de recrutements.
Comment vont-elles réussir à recruter à l’avenir ?
Plutôt que de rechercher des compétences, les entreprises vont s’attarder sur les soft skills des candidats et sur leurs compétences en termes de responsabilisation et d’autonomie. Les recruteurs ont, par ailleurs, dû accentuer leurs efforts pour se rendre plus visibles, mettre en avant leurs annonces et attirer des candidats. En novembre 2021, ils ont ainsi dépensé 53% de plus qu’en juillet pour sponsoriser leurs annonces emploi, tous secteurs confondus. Les recruteurs de la restauration ont eux aussi redoublé d’efforts pour booster la visibilité de leurs annonces, dépensant 41% de plus en novembre par rapport au début de l’été. Et sur 2022, leur budget va continuer à augmenter. Mais cela risque de n’être parfois qu’un coup d’épée dans l’eau...